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ADIEU ÉTALON !

Par - Publié en mars 2018
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L’écrivain mauritanien  Bios Diallo a souhaité ici rendre hommage au réalisateur Burkinabè, disparu le 18 février 2018.
 
Dimanche 18 février 2018, une dépêche tombe : Idrissa Ouédraogo est mort. A 64 ans, l’auteur de Tilaï, Grand Prix du jury à Cannes en 1990 puis de l'Etalon du Yennega l’année suivante, était connu pour sa générosité. Et sa lutte pour le 7e art africain. 
Idrissa impose son génie dès la sortie, en 1981, de Poko qui obtient la même année le prix du meilleur court-métrage au Fespaco. Diplômé de l’Institut africain d’études cinématographiques de Ouagadougou et de l’université Paris I Sorbonne, il fait le choix de filmer une Afrique de proximité qui sera portée par des dizaines de films et de courts métrages avec l’appui de sa société de production « Les films de la plaine ». 
Yaaba, Samba Traoré, ayant pour décors le terroir profond, ne signifient pas un confinement dans une Afrique statique. Le réalisateur traite de vrais sujets de société et fustige même avec Poko, qui retrace le destin d’une jeune villageoise enceinte et démunie, la précarité de nos structures. Au pays des hommes intègres, il lutte simplement contre la stigmatisation des valeurs. Face aux modes vestimentaires et comportements sociaux importés, difficile d’asseoir une identité de référence. A l’écran il montre l’Afrique profonde, sans tourner le dos à la modernité : laisser paraître une bijoutière au milieu d'un braquage, une potière ou un tisserand devant un centre commercial ! Tout comme, francophone, il tourne Kini & Adams en anglais, en Afrique du Sud, par refus des barrières. Déjà dans Le cri du cœur (1994), sur l’immigration, il fait la part belle à Paulo, un Blanc, là où on attendait un marabout africain pour sauver un enfant dépaysé. Il a aussi mis en scène à la Comédie française en 1991 La tragédie du roi Christophe, d’Aimé Césaire. 
Aux jeunes talents, il marque sa disponibilité et sa générosité. Pour encourager la relève, dans un secteur peu soutenu. Car, au moment où sa série Kadi Jolie cartonne sur les écrans cathodiques, il est inquiet pour l’avenir du cinéma en Afrique. En septembre 2017, au Festival du Cinéma Africain de Khouribga, au Maroc, il confie : « Malgré les prix et l’émergence des talents, notre cinéma demeure bancal à cause du peu d’intérêt des politiques ». 
Ce réalisateur au talent immense, j’ai eu l’opportunité de le rencontrer. D’abord en 2003, alors qu’il préside le jury du Fespaco. A l’hôtel Indépendance, il devise avec ses pairs : Sembène Ousmane, Souleymane Cissé, Pierre Yaméogo. Timidement, je me joins à eux. Puis arrive Baba Hama, le Délégué général du festival : « Ah le Mauritanien, tu es avec les grands ?, lance-t-il.  Idrissa s’étonne : - Qui est Mauritanien ? – Lui, répond Baba Hama. - Moi, en matière de Mauritaniens, je connais surtout les « Blancs » qui tiennent des petits commerces. Donc toi aussi, tu vends au détail ? », plaisante Idrissa. Nous éclatons de rire. Depuis, il m’appelle « Le Mauritanien ». En 2005, il nous accorde un passionnant entretien [AM 237 – Juin 2005]. 
Mardi 12 septembre, il y a une belle ambiance au Farah hôtel de Khouribga. C’est l’anniversaire de Apolline Traoré, la compatriote d’Idrissa, venue défendre son film Frontières. Il y a là des réalisateurs, des comédiens et des journalistes : « Hé arrêtez là ! Tout le monde veut prendre des photos et faire des interviews avec moi, comme si j’allais mourir », plaisante le réalisateur du Triomphe de l'amour (2005, en numérique). Nous répondons en chœur : « Idrissa, tu es juste notre monument ! » Le monument est parti. Hélas, une phrase prémonitoire…