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BARACK, PREMIER BILAN

Par zlimam - Publié en octobre 2016
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C ’est certainement l’un de nos meilleurs moments, ici à AM, quand en mars 2008, nous avons décidé, avant tout le monde, de mettre en couverture ce jeune sénateur de l’Illinois, fils d’un économiste et homme politique kényan et d’une Américaine blanche des ouche irlandaise.

 

C ’est certainement l’un de nos meilleurs moments, ici à AM, quand en mars 2008, nous avons décidé, avant tout le monde, de mettre en couverture ce jeune sénateur de l’Illinois, fils d’un économiste et homme politique kényan et d’une Américaine blanche de souche irlandaise. Un type smart, cool, incarnation d’une autre Amérique, qui s’était fait connaître par un discours brillant – uplifting, comme disent les Américains – à la convention démocrate de 2004. Presque contre toute attente, Barack Hussein Obama sera élu 44e président des États-Unis le 4 novembre 2008. Et réélu pour un second mandat de quatre ans, le 6 novembre 2012. Deux dates à tout point de vue historiques. Huit ans plus tard, l’homme s’apprête à quitter la Maison-Blanche. Il est en fin de mandat, dépouillé petit à petit de son énergie et de son influence politique. Le 8 novembre prochain, l’Amérique votera pour choisir le 45e président des États-Unis. Les regards sont d’ores et déjà tournés vers le combat pour la succession, combat qui oppose Hillary Clinton et Donald Trump. Hillary, incarnation d’un establishment démonétisé, de l’entre-soi des élites. Et Donald, figure incontrôlable et dangereuse du populisme, de la misogynie, du racisme et de l’ego trip… Le tout dans une ambiance lourde, celle d’une humanité comme à bout de souffle, en proie aux désordres, aux changements systémiques et bouleversants, au terrorisme, à l’impasse écologique… L’enthousiasme, l’espoir, le dynamisme et l’envie d’y croire générés par le premier discours de Barack Obama, la nuit du 4 novembre 2008, semblent si loin. Yes, we can…

Il est tôt encore tôt, même très tôt pour tenter de faire un premier bilan de la présidence Obama. L’Histoire prend du temps pour faire le tri, pour dépasser les émotions ou les vérités médiatiques de l’instant présent. Peut-être retiendra-t-on l’image de cet intellectuel au sens propre du terme, « conceptualiste », prudent, si différent du mode opérationnel traditionnel américain basé sur le mythe de l’action. Peut-être se rappellera-t-on de cet orateur hors pair à la voix remarquablement rythmée et grave, chaloupée et modulée, comme celle d’un pasteur inspiré. On retiendra certainement son sens de l’humour, sa photogénie, son côté super-papa avec ses filles. On se rappellera que son épouse, Michelle, est certainement aussi douée que lui, et que, si elle n’avait justement pas été femme et noire aussi, elle aurait peut-être pu prétendre à un destin politique de première ampleur (cela pourrait d’ailleurs être possible dans un avenir proche).

Peut être, au fond, ne restera-t-il que cette image, celle du président noir, le premier de toute l’histoire des États-Unis, pays marqué par la tragédie de l’esclavage, la guerre civile, la ségrégation institutionnelle, et l’épopée magnifique et souvent tragique des droits civiques. Le début des années 1960, lorsqu’un Noir et un Blanc n’avaient pas les mêmes droits, n’est vraiment pas si loin. À peine un demi-siècle. Obama est donc une révolution en soi. Le témoignage vivant que tout est possible. Un exemple pour tant de Noirs, tant de métèques, tant d’immigrés, tant de gens de couleur à travers le monde. L’exemple est là, mais les choses ont-elles changé ?

La question du racisme est plus que jamais au coeur de la société américaine avec le nombre impressionnant de bavures policières dont sont victimes les citoyens noirs. Une société américaine incapable, malgré les efforts, les discours et les exhortations présidentielles, de se débarrasser du fléau des armes à feu. L’image restera sûrement, pour de longues années : le chef de la nation la plus puissante du monde, au bord des larmes, évoquant le massacre de l’école de Sandy Hook (28 morts dont 20 enfants, le 14 décembre 2012).

À l’échelle du monde, de la grande politique internationale, l’action de Barack Obama reste tout aussi complexe à décrypter, à mettre en perspective. Le 44e président a voulu promouvoir l’idée d’un système multipolaire, où la diplomatie et le dialogue des nations doivent primer par rapport à l’expression brute du pouvoir américain. C’est le sens de l’accord avec l’Iran. Le sens aussi du dialogue avec La Havane. C’est la grille de fond qui explique la volonté de s’extraire du bourbier moyen-oriental, de mettre fin aux guerres d’Irak. D’orienter le dynamisme de la nation étoilée vers le Pacifique et l’Asie. Mais le monde n’obéit pas toujours à la volonté des hommes d’État. L’Amérique est embourbée jusqu’aux yeux dans les guerres du Moyen-Orient et doit faire face à la menace de l’État islamique. La Syrie restera probablement comme un échec majeur aux conséquences aussi imprévisibles que désastreuses (dont la tragique crise des migrants, elle-même à l’origine de la déstabilisation de l’Union européenne). La paix véritable entre Israël et les Palestiniens s’éloigne chaque jour un peu plus encore. Le leadership américain est remis en cause par l’émergence de la Chine et le retour de la Russie. Le prix Nobel (en 2009) paraît déjà si loin. Une autre image s’impose finalement, celle du chef de guerre dans la Situation Room de la Maison-Blanche, les yeux rivés sur des écrans qui envoient en direct les images d’un commando s’apprêtant à liquider l’ennemi numéro un, Oussama Ben Laden (2 mai 2011).

Un ami de New York relativise : « La période Obama aura un impact profond sur l’identité américaine. Sur la manière dont nous nous percevons. Nous ne sommes plus un peuple blanc. Nous sommes une mosaïque complexe de couleurs, d’identités, de trajectoires culturelles divergentes. Et elle aura eu un impact tout aussi profond sur la définition de la place de l’Amérique dans le monde. Obama sera probablement le dernier président de la toute puissance américaine. » La trajectoire fulgurante (et on l’espère sans lendemains victorieux) d’un Donald Trump peut d’ailleurs se lire en partie comme la réponse fantasmée à Barack Obama, à la volonté plus ou moins consciente de démolir son héritage, de revenir aux « valeurs » : la prédominance de l’homme blanc, et une Amérique forte, toute-puissante à l’écart du monde.

Le 20 janvier 2017, le 45e président des États- Unis entrera en fonction. Barack Obama l’a laissé entendre à de multiples reprises : il sera un jeune retraité très actif. Il n’aura que 55 ans. Avec une expérience colossale. Un carnet d’adresses grand comme l’Amérique. Une épouse, militante et tout aussi active que lui, libérée des contraintes de son statut de première dame. Barack Obama dira tout ce qu’il pense et tout ce qu’il sait. Essayera de faire changer les choses, de faire bouger les lignes. On le souhaite. Mais c’est troublant tout de même. Cet homme, qui aura été le plus puissant du monde, doit quitter sa fonction et le fameux bureau ovale, s’éloigner des boutons de l’arme nucléaire, ne plus diriger une administration tentaculaire et des services aux quatre coins du globe, pour pouvoir enfin être libre, pour pouvoir enfin espérer peser, en bien, sur le cours de l’humanité…