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La Marionnette académie

Par Jimi Weston - Publié en juillet 2017
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La compagnie Ivoire Marionnettes, médaillée d’or à Nice en 2013 dans la discipline Marionnettes géantes, a pris ses quartiers face à la lagune Ébrié, sur la plage du village d’Abatta, parenthèse balnéaire entre Cocody et Bingerville.

«J’ai toujours voulu être artiste. Quand j’ai entendu parler de la compagnie, ça m’a tout de suite plu. Alors j’ai déménagé, j’ai quitté mes parents et je suis venu ici. C’est un engagement très important, mais ce n’est pas difficile, parce que j’aime ça. La marionnette, c’est mon art. » Jean-Marcel Brou Daboiko, 21 ans, a le regard d’un jeune homme déterminé. Assis sur une scène en béton d’une dizaine de mètres de large construite sur du sable, il coud dans de longs morceaux de tissus amoncelés sur le sol. Autour de lui, cinq autres acolytes transpercent de part en part l’amas coloré à l’aide de larges aiguilles.

Nous sommes chez la compagnie Ivoire Marionnettes. À Abatta, entre les communes abidjanaises de Cocody et Bingerville. Les douze membres habitent sur la plage dans une propriété sablonneuse au bord de la lagune Ébrié, à une bonne heure de route du coeur d’Abidjan, loin du tumulte de la ville. À un mois des Jeux, les « tenants du titre » se préparent avec ardeur et bonne humeur.

Ils vivent en communauté. Une communauté artistique. Huit habitants y sont des élèves en formation. Les quatre autres sont les membres fondateurs du groupe, dont Badrissa Soro, 38 ans. « J’ai été formé au village Ki-yi M’bock, à Cocody », commence-t-il par raconter timidement. Ki-yi M’bock est un village d’artistes fondé à Abidjan en 1985 par l’écrivaine camerounaise Werewere Liking. En trente ans, plus de 500 jeunes Ivoiriens y ont été formés aux métiers artistiques. De la danse au chant en passant par le théâtre, la peinture ou la sculpture. « J’ai passé une sélection dans le village, se souvient Badrissa. Et j’ai été recruté. À cette période, Werewere Liking faisait beaucoup de sculptures mais aussi un peu de marionnettes. C’est elle qui est la base même de ma formation. »

Après des voyages au Cameroun et au Bénin, il crée en 2008 Ivoire Marionnettes, avec trois amis, dont Désirée Kouassi, une danseuse qui n’a alors que 17 ans, et Souleymane Koro, un styliste de 26 ans. En 2013, ils raflent la médaille d’or aux Jeux de la Francophonie dans la toute nouvelle discipline des marionnettes géantes. « Les Jeux ont été une grande chance pour nous, sourit Souleymane Koro. Grâce à cela, on a gagné en visibilité et on a pu nouer des partenariats. C’est à partir de ce moment-là que les gens ont commencé à croire en nous. » Depuis, la compagnie est invitée un peu partout dans des carnavals en Afrique et en Europe. Elle tourne au Maroc, au Bénin, au Togo, au Mali, en Belgique ou en France.

Parallèlement, elle devient une académie. « Quand nous sommes revenus de Nice, le ministère de la Culture ivoirien a voulu que l’on forme des jeunes pour mettre à profit ce talent », raconte Badrissa. Et à partir de 2014, les premiers élèves, dont Jean-Marcel, viennent vivre sur place pour un cursus de trois ans. Devant le portail, un panneau égrène les nombreux mécènes de l’école, comme l’Unesco, l’ambassade de Suisse (qui a financé la scène), l’Institut français de Côte d’Ivoire, l’Institut Goethe ou France Volontaires. Désirée Kouassi est tout excitée. « La marionnette », comme elle dit, c’est sa vie. « On touche un peu à tout. On chante, on danse, on coud, on écrit, on invente des chorégraphies… Mais, surtout, la marionnette guérie, elle donne de la joie aux enfants », dit-elle dans un immense sourire qui vient lui toucher les oreilles. Évidemment, elle veut encore gagner cette année.

« Je suis super motivée. On ne peut pas s’avancer, mais gagner est notre prière. On veut aller la chercher. Après cela, peut-être que nous serons invités au carnaval de Venise ou à Rio. Pourquoi pas ? Si on gagne, tout est possible. En tout cas, on en rêve. » L’épreuve dure quinze minutes seulement et il s’agit d’être prêt. Alors élèves et professeurs travaillent d’arrache-pied. « On se prépare spécifiquement sur notre représentation aux Jeux depuis environ six mois, s’enthousiasme Adama Kamagate, 22 ans, qui a commencé sa formation en 2015. Il y a de la pression quand même, parce que, bon, ils ont gagné la dernière fois, alors on veut faire pareil. » La troupe garde encore jalousement secret ce qu’elle va présenter, mais Badrissa accepte de livrer quelques indices.

« L’idée était de trouver quelque chose d’étrange. On participe à un concours. On est obligés de proposer quelque chose que les gens n’ont pas l’habitude de voir. C’est l’originalité qui vous démarque des autres. C’est elle qui peut nous amener la victoire. Dans les marionnettes, on a l’habitude de voir des représentations d’hommes ou d’animaux ; cette fois, nous avons décidé d’aller plus loin, vous verrez… », lâche-t-il énigmatique. 

Au-delà des rêves de nouveaux voyages, ils le savent, une victoire aux Jeux permettrait de pérenniser et d’agrandir l’école. « Maintenant, il faut maintenir le cap. Et maintenir le cap, cela veut dire accueillir de nouveaux élèves marionnettistes. Notre objectif, c’est que les jeunes que nous avons formés obtiennent cette médaille d’or. Ce serait génial pour la Côte d’Ivoire. Et pour nous, ce serait magnifique. Cela nous crédibiliserait encore plus et boosterait l’académie. On serait encore plus soutenu par nos partenaires et par l’État. » Un bonheur supplémentaire pour Adama : « Il faut dire aux jeunes que la marionnette apporte la joie. Qu’elle divertit et qu’elle surprend. » Pour lui, il n’y a décidément aucun doute : victoire ou pas, il a trouvé sa voie. « J’aimerais devenir un jour un grand marionnettiste, développer mes propres idées et avoir ma propre académie. Quand j’y pense, j’ai toujours voulu faire ça, créer des objets avec mes mains… Mais, avant de venir ici, je ne savais pas que ce que je faisais c’était de l’art. »