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Les fils, leurs pères et le pouvoir

Par zlimam - Publié en octobre 2017
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Le pouvoir de père en fils, plus rarement de père en fille, l’héritage, sont des mécanismes presque aussi vieux que l’humanité. Le clan, la filiation, la transmission font partie de nos gènes. Dans le monde de l’argent et du business, les choses sont simples en théorie, la propriété privée règle la question. Et encore, les conflits familiaux peuvent être d’une violence légendaire, s’étaler sur deux ou trois générations… Dans la sphère publique et celle du pouvoir d’État, on entre en zone trouble. Officiellement, le pouvoir n’appartient à personne, ou, pour être plus précis, il appartient aux citoyens, au peuple. En pratique, ceux qui sont au sommet peuvent être tentés de s’entourer de fidèles, et quoi de plus simple, de plus efficace pour être en confiance, partager des secrets, pour se protéger, que sa propre descendance. Sachant qu’il y a des exceptions notables, en particulier le fameux « tu quoque mi fili » (toi aussi, mon fils) adressé par César à Brutus en train de le poignarder… 
 
Bref, dans les coulisses du pouvoir, les enfants sont nombreux. Ils ont un rôle majeur d’influence. Ils sont ceux qui peuvent entrer dans le bureau, ou qui en tiennent les accès. Ceux qui peuvent décoder lacarte affective du « patron ». Parfois, ils deviennent « patrons » à leur tour. Ils « héritent » d’une manière ou d’une autre. Par l’histoire, par les urnes, parce qu’ils ont appris, dès l’enfance, à aimer la politique, ou par cynisme, par volonté de contrôler les avantages acquis, la puissance… L’affaire n’est pas qu’africaine : on pense à Justin Trudeau au Canada, fils de Pierre Elliott Trudeau. On peut penser à la dynastie des Bush aux États-Unis (George and George W.). À la dynastie des Gandhi en Inde, celle des Bhutto au Pakistan, celle des Lee à Singapour, à celle, nettement plus contestable, des Kim en Corée du Nord (voir page 66).
 
Mais en Afrique, où la question démocratique et les impératifs de gouvernance se posent avec une acuité particulière, le débat est essentiel (voir notre cover story page 28). Être « le fils » implique forcément, et sans faire trop de psychanalyse, une charge, une responsabilité, celle du lignage, de la famille. On ne peut pas s’exempter du nom que l’on porte (sauf évidemment à changer entièrement de monde, de métier, de vie, partir sur d’autres aventures). Un « fils de… » peut certainement être président. Pourquoi en serait-il de facto exclu ? Mais, dans ce cas, il faut le mériter, plus que d’autres encore. Un fils devra faire « mieux ». En termes de résultats, d’efficacité, de développement.
 
Être élu, vraiment, passer les urnes, dans un processus le plus transparent possible. Être adoubé par les citoyens et non pas par le clan. Agir en démocratie, et non pas en oligarchie, où le pouvoir se concentre entre les mains de quelques-uns. Accepter aussi et surtout l’alternance, de rendre un pouvoir qui ne vous appartient pas. Au fond, les choses sont assez claires. Il n’y a pas de délit de patronyme ou de progéniture, il ne peut y avoir que des délits de mal-gouvernance, de détournement de démocratie. L’Afrique n’est plus celle de nos aînés. Elle change. Elle exige plus de modernité, plus de pluralisme. Un « grand fils de » doit pouvoir quitter le palais. Être autre. Se consacrer à des tâches différentes et tout aussi essentielles. Favoriser le changement. Être un passeur, un transmetteur, au lieu de s’inscrire dans une interminable et stérile continuité.
 
Aujourd’hui, l’Afrique compte, à l’exception des successions monarchiques, six chefs d’État ou de gouvernement (exécutif) qui sont des fils de chef. Dans trois cas, leur autorité est fortement contestée (Togo, Gabon, RD Congo). Dans un quatrième, la justice a invalidé le processus électoral (Kenya)… Des « statistiques » qui ne sont pas anodines.