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Arnaud Ngatcha :
« Le digital ouvre une ère nouvelle pour les liens francophones »

Par Cédric Gouverneur - Publié en décembre 2020
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Arnaud Ngatcha /Adjoint à la Maire de Paris en charge des relations internationales et de la francophonie. DR

Mercredi 9 et jeudi 10 décembre se tient à Tunis le congrès de l’Association internationale des maires francophones (AIMF). Fondée en 1979 par Jacques Chirac, alors maire de Paris, ce réseau de coopération rassemble environ 300 villes du monde entier. Afrique Magazine a interviewé Arnaud Ngatcha, conseiller du 9e arrondissement de Paris. Il est le nouvel adjoint à la maire Anne Hidalgo, en charge des relations internationales et de la francophonie. Arnaud, né d’un père camerounais avait, en 2006, réalisé un documentaire remarqué : Noirs, l'identité au cœur de la question noire. Et aussi collaboré avec notre magazine à ses debuts ! Entretien avec un ex-journaliste, homme de média et nouvel élu, avant son départ pour Tunis.

La question sanitaire ne dominera pas ce congrès, mais elle aura une place importante : chaque ville est concernée. Lors du premier confinement, Anne Hidalgo, qui préside l’AIMF, avait réuni un certain nombre de maires afin d’aborder cette question, de voir avec eux comment Paris pouvait apporter son aide. L’AIMF a investi 2,5 millions d’euros d’aide d’urgence pour les malades du Covid-19, notamment pour un hôpital de Beyrouth (dévastée par une explosion accidentelle en août, ndlr), pour les réfugiés arméniens (qui ont fui le conflit au Haut-Karabakh à l’automne, ndlr) et pour l’hôpital de Panzi, dans le Sud-Kivu, en République démocratique du Congo, où œuvre le gynécologue obstétricien Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018 et citoyen d’honneur de la ville de Paris. Pierre Baillet, secrétaire permanent de l’AIMF, répond toujours présent pour annoncer des solutions face aux grands drames qui atteignent nos partenaires francophones. Désormais, avec la vaccination, s’enclenche une nouvelle phase. Mais il faudra du temps pour que la vie puisse reprendre son cours.

Depuis deux mois, les villes membres de l’AIMF travaillent à des ateliers préparatoires, avec des universitaires et des entrepreneurs, sur les solutions numériques. Cette crise constitue-t-elle une opportunité pour mobiliser le digital au service des politiques urbaines ?

Le Covid-19 accélère le changement : la pandémie a mis le monde quasiment à l’arrêt. Or, les économies numériques ont continué à prospérer car elles n’étaient pas concernées par les mesures de distanciation sociale. Le Covid a donc accéléré cette transition. Certaines activités devront être accompagnées dans leur transformation numérique : l’AIMF doit leur apporter des solutions. C’est pour Paris un axe primordial : la capitale française doit jouer son rôle de ville innovante, accueillante pour les start-up. Notre label SOLIDAE permet, par exemple, de financer des projets d’accès à l’eau, à l’assainissement, à la gestion des déchets, à l’énergie… C’est concret.

J’ai récemment rencontré l’ambassadeur d’Angola, qui voulait échanger avec la Ville de Paris quant à la gestion des eaux et des déchets. Il faut que les villes soient à la pointe du transfert de ces technologies. Les grandes cités du continent africain ont les yeux rivés sur le numérique. La population africaine est très jeune et vit connectée, elle se sert des outils digitaux. Un jeune habitant de Douala qui a une idée inédite d’entreprise technologique peut désormais plus aisément se lancer. L’Afrique sera donc un acteur clé de ce nouveau monde. Au Rwanda, le président Paul Kagame compte faire de son pays une avant-garde du numérique. Le Cameroun – où mon père est né – développe de grands projets sur l’intelligence artificielle. Je reçois beaucoup d’ambassadeurs du continent, afin de développer les relations internationales de Paris, et tous se tournent vers le digital afin de gagner en autonomie, trouver des marges de manœuvre et de croissance. La crise sanitaire nous oblige à accélérer ce changement : nous étions au trot, nous sommes désormais au galop. Lors de la mandature 2020-2024, plus de 100 villes francophones vont bénéficier d’aides de l’AIMF. Nous allons ainsi initier Francophonie Tech, afin de promouvoir une approche francophone en matière d’innovation. Le numérique permet le développement d’une francophonie nouvelle, une autre façon de réfléchir à nos rapports, d’énormes opportunités. Le digital ouvre une nouvelle ère dans les rapports entre pays francophones.

En 1989, la ville de Porto Alegre, au Brésil, inventait le budget participatif. Adopté par la Ville de Paris, il semble se diffuser dans la francophonie…

La maire de Paris a de nouveau augmenté la part du budget participatif, qui est désormais de 100 millions d’euros, et suscite l’intérêt des Parisiens. C’est une façon de créer une nouvelle relation avec les administrés. On arrête le « up to down », on échange : votre avis nous intéresse. De plus en plus de villes francophones appliquent ce système, c’est une façon concrète d’adresser les problèmes de la vie quotidienne, notamment pour la gestion de l’eau, des déchets.

Parmi les quelque 300 villes de l’AIMF, certaines sont non-francophones, comme Sofia, en Bulgarie, ou d’autres au Cap-Vert. Pourquoi ?

Nous avons une conception ouverte de la francophonie. Ces cités veulent s’inscrire dans la sphère francophone, le dynamisme d’un vaste réseau, qui permet d’échanger sur un certain nombre de questions, mais aussi des valeurs que défend la francophonie. Avec 300 millions de locuteurs, le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde. Son influence culturelle, politique et économique attire. L’anglais, langue internationale, est là de toute façon, elle aussi avec ses valeurs. Ce n’est pas rien que la maire de Paris réserve au congrès de l’AIMF son premier déplacement international depuis sa réélection : par ce choix, elle veut montrer sa volonté de renforcer ce lien et me permettre de développer une francophonie nouvelle en matière de relations internationales.

En 2006, vous réalisiez un documentaire remarqué : Noirs, l’identité au cœur de la question noire. Vous donniez notamment la parole à Aimé Césaire, Kofi Yamgnane, Christiane Taubira ou à des tirailleurs sénégalais. Selon vous, qu’est-ce qui a changé ces quinze dernières années ?

Je constate que, malheureusement, sur des questions multiples, liées au ressenti d’une partie des populations noires de France, on avance à très petits pas. Les Français antillais ou issus comme moi de la diaspora africaine peuvent avoir le sentiment de ne pas être vus comme des Français à part entière. Sur la représentation de la diversité, le pays est très en retard. Anne Hidalgo a su proposer un exécutif qui ressemble à la France, à la population parisienne. Je suis souvent sollicité par des jeunes issus de la diaspora : ils sont fiers de me voir là où je suis. De la même façon que les femmes ont dû lutter pour la parité, les minorités doivent lutter pour leur représentation. La société française a des difficultés à se transformer, elle n’a pas su faire émerger une bourgeoisie provenant de la diversité, avec des leaders aptes à proposer des réponses. Le danger est que cette société, qui est en pleine mutation, prenne à rebrousse-poil ces institutions conservatrices. Il y a des pays où les élites évoluent plus rapidement : les États-Unis – dont on a pu moquer le système électoral ces derniers mois – ont tout de même élu Kamala Harris, et avant elle Barack Obama. En 2017, quand j’étais conseiller de la ministre des Sports Laura Flessel, j’ai eu l’honneur de rencontrer Obama. Il a changé le monde et la perception que des millions de gens avaient de leur vie. En France, on est encore à s’interroger sur la possibilité d’une Première ministre [ce n’est arrivé qu’une seule fois, avec la nomination d’Édith Cresson en 1991 par François Mitterrand, ndlr]. Et pourtant, beaucoup de personnes compétentes seraient disponibles !

Votre carrière politique est relativement nouvelle. Comment cela s’est déroulé ?

Anne Hidalgo m’avait rencontré lorsque je travaillais avec Laura Flessel. Lorsqu’elle m’a proposé d’être tête de liste dans le 9e arrondissement, j’étais intimidé, j’ai donc mis trois semaines avant de lui donner ma réponse ! Quand on ne le connaît pas, le monde politique est un peu terrifiant… Je me souviens comme si c’était hier de ma première sortie en campagne, rue des Martyrs [menant à la butte Montmartre, ndlr], à la rencontre des électeurs. J’ai failli remporter la mairie de l’arrondissement, à environ 600 voix près. J’ai été nommé adjoint en juillet, en charge des relations internationales et de la francophonie, au sein de l’exécutif d’une ville les plus importantes au monde. C’est une énorme responsabilité, il faut alors endosser de nouveaux habits. Ces relations humaines exceptionnelles m’ont apporté beaucoup et m’ont également changé.