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Festival 2021

Cannes 2021 :
Le bouillonnement africain

Par Jean Marie Chazeau - Publié en juillet 2021
envoyé spécial
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l'équipe de Ayouche
L'équipe du film «Haut et Fort» de Nabil Ayouche. DR 

Du 6 au 17 juillet, le 74e Festival de Cannes a fait une belle place aux créateurs du continent. Et de nouvelles tendances se dessinent côté production 

​​​​​​​Dans cette édition masquée, estivale et avec deux fois moins de festivaliers, la Palme d’or brille de nouveau sur la Croisette deux ans après la dernière édition. On compte deux concurrents africains au trophée, sous le regard du jury de Spike Lee (dont Tahar Rahim et Mati Diop) : le film du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, Lingui, et celui du Franco-Marocain Nabil Ayouch, Haut et fort. Le premier, qui met en avant la force des femmes contre le patriarcat dans les faubourgs de N’Djaména, s’est fait remarquer pour son discours féministe assez radical la première semaine, tandis que le hip-hop des jeunes de Sidi Moumen, à Casablanca, du second a résonné fort dans la grande salle Lumière du Palais des festivals ce jeudi. Habitués de la Croisette, les deux cinéastes ont un pied en France et un autre dans leur pays d’origine, ce qui leur permet de mieux assurer le financement de leurs films.

Faciliter la coproduction Sud-Sud

Une initiative a d’ailleurs été lancée durant cette édition 2021 pour encourager la coproduction Sud-Sud, plus accessible aux nouvelles générations de créateurs du continent : le lancement de la plate-forme ouicoprod.org par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et plusieurs fonds de soutien public. Elle permet de mettre en relation des producteurs, des agents, des sponsors qui ne savent pas toujours où s’adresser pour trouver des projets, à l’heure où les diffuseurs sont à la recherche d’images dans le monde entier, pour un public global beaucoup plus curieux qu’on ne pouvait le penser. « Les plates-formes prennent plus de risques, explique Enrico Chiesa, directeur cinéma et audiovisuel à l’OIF. La série sénégalaise Sakho et Mangane cartonne sur Netflix, et Wara, sénégalaise également, a été la plus vue sur TV5MONDEplus. » C’est une façon de faciliter la mise en contact avec de nouveaux guichets de financement dans des pays qui ne savent pas toujours à qui s’adresser en Afrique. Ce nouveau site, avec un accès plus complet pour les professionnels, présente une cinquantaine de projets, d’Afrique principalement, mais aussi des Caraïbes et du Pacifique, classés entre documentaires, séries et fictions TV, ainsi que fictions cinéma. On y trouve des projets en cours de financement, comme celui de la Rwandaise Marie-Clémentine Dusabejambo, Benimana. Ou le documentaire Schengen ouvre-toi, du Togolais Yannick Edoh Glikou, sur le business qui s’est créé autour de l’émigration légale vers l’Europe. Il est coproduit par le Béninois Faissol Gnonlonfin (Merveilles Production), qui est aussi partenaire de la série Mami Wata (réalisée par Askia Traoré), actuellement en postproduction, et que diffusera Canal+ Afrique en octobre.

​​​​​​​Des films africains dans toutes les sélections

Festival de cannes
Lingui : Les liens sacrés. DR 

Merveilles Production coproduit également un film acclamé lors de sa projection dans la sélection Un certain regard (petite sœur de la compétition officielle) : Freda, tourné à Port-au-Prince par l’Haïtienne Géssica Généus, et aidé par l’OIF. On retrouve aussi l’organisme francophone dans le budget du long-métrage qui a remporté le Grand Prix de la Semaine de la critique : Feathers, de l’Égyptien Omar El Zohairy. Un conte absurde dans un monde crasseux et misérable où un père autoritaire est transformé... en poule, tandis que son épouse taiseuse va devoir se débrouiller avec ses trois enfants. Une esthétique assez radicale pour un nouveau propos à la gloire des femmes. Comme dans La Femme du fossoyeur, du Finlandais d’origine somalienne Khadar Ayderus Ahmed, très ému dans sa superbe tenue traditionnelle lors de la présentation de son film devant le public du Miramar, le lieu qui abrite la Semaine de la critique : la belle et triste histoire d’un homme habitué à enterrer les cadavres et qui va tout faire pour sauver son épouse gravement malade. Un conte tourné à Djibouti superbement mis en images. Du côté de la Quinzaine des réalisateurs, le film de l’Américain Saul Williams, Neptune Frost – tourné au Rwanda, mais se déroulant dans un pays imaginaire –, a marqué les spectateurs par ses audaces qui confinent au kitsch le plus clinquant, même si son propos était parfois un drôle de mélange d’idées politiques postcoloniales et pro-LGBT, avec des costumes délirants (une veste constituée de touches d’ordinateur...) et des saillies comme « Fuck Google » et « Boycottons la misère » ! Il était d’ailleurs conçu au départ pour Broadway.

Le festival et le changement climatique

À l’inverse, très sobre, Aya, présenté à la sélection de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), propose un très beau portrait de femmes, quasi documentaire. Simon Coulibaly Gillard met en scène l’histoire d’une fille et de sa mère vivant simplement sur l’île de Lahou en Côte d’Ivoire, menacée par la montée du niveau de la mer. Le changement climatique est désormais affiché comme une préoccupation par les organisateurs du Festival, lesquels ont mis en place un système de compensation carbone en taxant les festivaliers et créé une sélection « éphémère » sur cette thématique. La Franco-Sénégalaise Aïssa Maïga y a présenté son premier documentaire, Marcher sur l’eau, tourné dans le nord du Niger, montrant le quotidien des habitants de la région qui, confrontés au manque de pluie, attendant des forages pour faire remonter à la surface l’eau qui se trouve à 200 mètres sous le sable. Là aussi, les femmes sont en première ligne. Quant aux hommes, c’est une femme qui en parle le mieux, la Franco-Tunisienne Leyla Bouzid : Une histoire d’amour et de désir est le beau portrait d’un jeune homme timide et réservé qui va découvrir ses premiers émois amoureux et sexuels en étudiant la littérature arabe érotique à la Sorbonne. Un film tout en sensualité qui, comme tous ceux présentés à Cannes cette année, confirme la puissance des femmes d’Afrique dans le cinéma d’aujourd’hui, qu’elles soient devant ou derrière la caméra.