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Niger

De la mine à l’or noir

Par - Publié en juin 2020
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Le pétrole et l’hydrocarbure prennent progressivement une place essentielle dans l’économie.

I namovible directeur général des hydrocarbures depuis 2012, Adolphe Gbaguidi, la soixantaine aussi élégante que discrète, est le Monsieur Pétrole du président Issoufou Mahamadou. Il dit en préambule, comme pour s’excuser : « Nous sommes un pays à tradition minière, si notre avenir se dessine à l’or noir, notre histoire avec le pétrole est toute récente. » Quatrième producteur mondial d’uranium, le Niger a longtemps cru aux potentialités de son sous-sol en matière d’hydrocarbures. Dès le lendemain de l’indépendance, en 1960, des blocs d’exploration ont été accordés aux compagnies occidentales, parmi lesquelles l’américaine Texaco. En vain. Ce n’est qu’en 2007 que la China National Petroleum Corporation (CNPC), explorant le bassin d’Agadem, dans l’est du pays, découvre des poches d’huile économiquement exploitables. Réserves prouvées : 410 millions de barils. Une quantité suffisante pour que la CNPC signe un contrat de partage de production avec le gouvernement et réalise, en 2011, un oléoduc de 462 kilomètres, reliant le champ d’Agadem (trois gisements : Gouméri, Sokor et Agadi) à la Société de raffinage de Zinder (Soraz), d’une capacité de traitement de 20 000 barils/ jour, construite par la CNPC et dont le capital est réparti comme suit : 55 % pour l’entreprise chinoise et 45 % pour l’État nigérien. Les besoins domestiques plafonnant à 10 000 barils/jour, l’excédent de production est exporté vers les pays voisins (Mali, Burkina Faso et Nigeria), pour 250 000 tonnes de diesel, 150 000 tonnes d’essence sans plomb et 40 000 tonnes de gaz de pétrole liquéfié (GPL). C’est ainsi qu’en 2012, le Niger est devenu exportateur de carburant. L’or noir a définitivement supplanté le yellow cake (produit traité de l’uranium à l’export) comme première source de revenus du Trésor public. L’ère pétrolière a débuté pour le Niger, les hydrocarbures reléguant les secteurs miniers de l’uranium et de l’or au second plan. Entre 2012 et 2018, le pétrole a généré plus de 2 milliards de dollars de revenus cumulés. L’activité contribue à hauteur de 7 % à la formation du PIB, et représente près de 30 % des recettes fiscales et jusqu’à 29 % des exportations. Et ce n’est que la première phase. L’ambition pétrolière du pays d’Issoufou ne s’arrête pas à cette performance, car il veut intégrer le club des pays africains exportateurs de pétrole brut. 
 
110 000 BARILS PAR JOUR EN 2022 
Les Chinois de la CNPC ont continué l’exploration du champ d’Agadem et ont, en association avec les Taïwanais d’Overseas Petroleum investment Corporation (OPIC), multiplié les découvertes avec un potentiel de 890 millions de barils. La Soraz est sous-dimensionnée pour une production de l’ordre de 110 000 barils/jour. Seule option possible : l’évacuation par oléoduc du surplus de production. « Nous avions trois possibilités pour le faire, précise Adolphe Gbaguidi. Relier le champ d’Agadem à celui de Doba, au Tchad, pour utiliser le pipeline vers le terminal de Kribi, dans la région de Douala au Cameroun, construire un pipeline entre Agadem et Port Harcourt au Nigeria, ou réaliser un oléoduc vers Cotonou. » Pour des raisons d’ordre sécuritaire et géopolitique, les deux premières options, beaucoup moins coûteuses, n’ont pas été retenues par le gouvernement et ses partenaires (CNPC et OPIC). En avril 2018, l’État du Niger et la République du Bénin ont signé un protocole d’accord définissant « le cadre de la construction et de l’exploitation d’un réseau de pipelines, partant du Niger et traversant le Bénin jusqu’au terminal maritime d’exportation sur la côte du Bénin dans la commune de Sèmè (département de Ouémé) », selon un communiqué du gouvernement. Le 20 septembre 2018, le Premier ministre Brigi Rafini et la China National Oil and Gas Exploration and Development Company (CNODC) ont conclu un accord-cadre concernant la construction et l’exploitation du pipeline transfrontalier d’exportation de pétrole brut du Niger au Bénin. Le 26 avril 2019, CNODC a créé une filiale, West African Gas Pipeline Company (WAPCO Niger), en charge de construire, d’exploiter, d’entretenir et de gérer l’oléoduc (2 000 kilomètres pour un coût de 2,6 milliards de dollars) pour l’exportation du pétrole brut. Les travaux de réalisation lancés, le 17 septembre 2019, sont prévus sur vingt-quatre mois. 
 
« Notre ambition, affirme Foumakoye Gado, ministre du Pétrole, est d’exporter une grande partie des 110 000 barils que nous prévoyons de produire quotidiennement, à partir de 2022. Notre secteur passera ainsi de 16 % à 68 % dans nos recettes d’exportation et sera le plus important levier de l’économie à l’horizon 2022. » Principal partenaire du Niger pour le pétrole, la CNPC aura investi, à elle seule, plus de 5 milliards de dollars entre l’exploration, l’exploitation, la raffinerie et l’oléoduc. Autre investissement conséquent dans le secteur : l’oléoduc intérieur. Pour 1,4 milliard de dollars, un réseau de canalisations devra desservir, à partir de la Soraz, les grandes villes du pays, dont Niamey (80 % de la consommation nationale en carburants et produits raffinés). 
 
UN COÛT DE PRODUCTION ÉLEVÉ 
« Les perspectives du pétrole au Niger ne se limitent pas au seul champ d’Agadem. À Kafra, au nord-est, Sipex, filiale de l’algérien Sonatrach, a mis à jour des indices prometteurs en matière de poches d’huile et de gaz. Le plateau du Djado, qui se situe dans le prolongement du gisement géant libyen de Murzuk, intéresse de nombreuses compagnies occidentales », affirme Adolphe Gbaguidi, convaincu que le pétrole est l’avenir de son pays, malgré deux facteurs rédhibitoires. Le premier est le coût de production du brut, relativement élevé (entre 14 et 17 dollars le baril). Le second est celui de son évacuation (plus de 15 dollars le baril), du fait de l’enclavement du pays. Ce qui rend le seuil de sa rentabilité assez élevé, avec un cours minimum de 40 dollars le baril sur le marché. Les Nigériens avaient l’habitude de scruter quotidiennement les cours de l’uranium. Ils vont devoir passer à ceux du panier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).