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Dialoguer, pour résoudre la crise anglophone

Par François.BAMBOU - Publié en novembre 2017
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La détermination violente de certains leaders syndicaux et politiques a encouragé des velléités séparatistes. Une situation que Yaoundé a choisi de régler en créant un cadre d’échanges pour favoriser l’indispensable unité.
 
Je suis franglophone. » Avec la touche d’humour qu’on lui connaît, le « Kardinal Aristide 1er » (de son vrai nom Aristide Betnga Yankoua), comique camerounais réputé pour son goût prononcé de la satire, réussit encore à faire sourire au sujet de la pourtant sérieuse crise anglophone. Pourtant, ces derniers mois, la société a traversé des moments de tension inattendue, qui ont culminé le 1er octobre 2017 – date de la proclamation symbolique de l’indépendance des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest –, entraînant des heurts meurtriers entre sécessionnistes et forces de l’ordre. Ce qui apparaît aujourd’hui comme l’une des crises sociopolitiques les plus graves de l’histoire post-indépendance du Cameroun a commencé il y a un an par des revendications essentiellement corporatistes exprimées par des enseignants et avocats originaires des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. « Le gouvernement de la République a, dès le début de ces événements, privilégié le dialogue à travers la création de plateformes où les problèmes corporatistes étaient posés. Mais il s’est avéré par la suite que les combats légitimes des avocats et enseignants anglophones ont été récupérés et travestis en manoeuvres politiques afin d’obtenir le changement de la forme de l’État et même la partition du Cameroun », peut-on lire dans une note explicative du gouvernement sur la crise anglophone.
Au commencement, le 10 octobre 2016, les avocats anglophones manifestaient leur ras-le-bol de ne pas disposer de la version anglaise des actes uniformes OHADA sur le droit des affaires. Ils refusent notamment que le code civil francophone soit appliqué dans les juridictions de leurs régions. Quant aux enseignants anglophones qui ont lancé leurs mouvements de grève quasiment à la même période, ils protestaient contre l’absence de prise en compte des particularismes de l’héritage colonial anglo-saxon dans le système éducatif en vigueur dans les deux régions concernées. Dès le 8 novembre, le Premier ministre Philémon Yang a mis en place un comité interministériel « chargé d’examiner et de proposer des solutions aux préoccupations soulevées par les syndicats des enseignants », tandis que parallèlement, le ministre de la Justice engageait des discussions avec les avocats.
Un an plus tard, la crise est dans l’impasse : l’enseignement n’a pas repris dans les deux régions concernées, pas plus que les plaidoiries des avocats dans les tribunaux. Pourtant, le président de la République a ordonné une modification du fonctionnement de la Cour suprême, pour y intégrer la section de la Common Law. Il a en outre demandé une nouvelle évaluation de la maîtrise de la Common Law par les magistrats en service dans les cours d’appel du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. De quoi aboutir au redéploiement des magistrats en tenant compte de leur maîtrise de la langue officielle la plus usitée dans les régions d’affectation. Il y a également eu la création d’une faculté de sciences juridiques et politiques à Buéa, de départements d’English Law dans les universités publiques situées dans les régions francophones, ainsi que d’une section de la Common Law à l’ENAM. Quant aux enseignants anglophones dont les revendications sont passées de 11 à 18 puis à 21 au fur et à mesure qu’elles étaient satisfaites, comme le rapporte le professeur Paul Ghogomu Mingo, directeur de cabinet du Premier ministre, ils n’ont toujours pas appelé à la reprise des cours. Leurs revendications du début ont servi de catalyseur aux récriminations d’une frange plus large des ressortissants des deux régions anglophones, composant 20 % de la population. Globalement, celles-ci se plaignent d’être marginalisées par le pouvoir central, et deviennent des cibles faciles pour les mouvements séparatistes, dont certains n’ont jamais abandonné le rêve de créer un État anglophone indépendant. Depuis quelques mois, les revendications corporatistes laissent définitivement place aux problèmes politiques, portés par une aile dure, en partie basée à l’étranger. Sur les réseaux sociaux, les activistes diffusent des informations à profusion, souvent assorties de manipulations d’images. Des images d’enfants brutalisés par des hordes de jeunes violents font le tour de Facebook et de WhatsApp, de même que des messages audio de menaces adressés à quiconque enverrait ses enfants à l’école, ou à ceux qui voudraient ouvrir leur commerce.
Dépêché par Paul Biya, Philémon Yang, le Premier ministre, est en première ligne avec les interlocuteurs anglophones. WANG ZHAO/AP/SIPA
Halte à l’escalade des tensions
Une situation qui inquiète les missions diplomatiques. Le ministre des Relations extérieures LeJeune Mbella Mbella a reçu les ambassadeurs pour leur dresser l’état des lieux sur la situation. Suite aux violences du 22 septembre et en prévision de la « proclamation d’indépendance » annoncée par certains activistes, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait rappelé la position de l’instance internationale, soulignant « l’importance de faire prévaloir l’unité et l’intégralité territoriale du Cameroun et enjoint toutes les parties à s’abstenir d’actes susceptibles de mener à une escalade des tensions et de la violence. Le Secrétaire général est convaincu qu’un dialogue véritable et inclusif entre le gouvernement et les communautés des régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest est le meilleur moyen de préserver l’unité et la stabilité du pays ». Un désaveu pour les sécessionnistes.
Paul Biya a choisi la solution du dialogue, sous la forme d’échanges directs entre les élites anglophones et les populations des deux régions. Il a demandé au Premier ministre Philémon Yang, anglophone du Nord-Ouest, d’organiser des délégations d’élites pour rendre visite aux populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, afin de leur porter le message de paix du président de la République et encourager au retour de la normalité. « Ces délégations vont mener un dialogue constructif avec les populations », annonçait un communiqué du Premier ministre. Ces échanges ont commencé le 15 octobre et les élites politiques et administratives anglophones sont allées au contact des populations concernées. Sur le terrain, Philémon Yang a reçu jusqu’aux associations de vendeurs à la sauvette ou de moto-taxi pour recueillir leurs propositions. Un dialogue qui a permis aux populations d’exprimer une attente majeure qui pourrait être la clé de sortie de la crise : la mise en oeuvre de la décentralisation telles que prévue par la Constitution de 1996, et qui donne à chaque région du pays une forme d’autonomie administrative et financière.