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ce que j’ai appris

HENRI LOPES

Par Olivia Marsaud - Publié en avril 2015
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AMBASSADEUR DU CONGO EN FRANCE, ÉCRIVAIN, 77 ANS.Auteur incontournable, francophone militant, diplomate, ancien Premier ministre, ex-fonctionnaire international (dix-sept ans à l’Unesco), le créateur de l’inoubliable Tonton Hannibal-Ideloy Bwakamabé Na Sakkadé, héros de Le Pleurer-Rire paru en 1982, cumule les vies. Il vient de sortir son neuvième roman, Le Méridional (Gallimard).

Je n’ai pas de réponse unique pour expliquer ma venue à l’écriture.
Jeune étudiant, j’ai découvert à Paris l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Senghor. Ce fut mon chemin de Damas ! Je ne savais pas que des Noirs avaient écrit. Cette prise de conscience a été capitale dans ma vie. J’ai commencé à chroniquer des ouvrages africains, à l’époque, c’était facile, il y avait peu de production. En 1969, j’ai conduit la délégation du Congo au Festival panafricain d’Alger et, pour la première fois, on m’a présenté comme écrivain. Ce que je n’étais pas, mais l’idée a germé. Rentré d’Algérie, je me suis lancé. J’ai passé des mois à écrire les nouvelles de Tribaliques [publié en 1971, ndlr]. J’avais mis le doigt dans l’engrenage, puis la main, et me voici aujourd’hui arrivé à l’épaule j’en ai bien peur.

Je sépare le monde politique de celui de l’écriture. Il est dangereux de les mêler car le discours politique s’exprime avec beaucoup de clichés, même si vous essayez de les éviter. La politique est une partie de la vie. Et pour paraphraser une formule bien connue, elle est trop sérieuse pour l’abandonner aux politiciens. Dans ma jeunesse, c’était un devoir de s’engager, de militer, de s’organiser pour obtenir l’Indépendance. Par la suite, les choses se sont corsées. Le terrain et les règles du jeu – un jeu dangereux – n’étaient pas ceux des démocraties traditionnelles. Nous avons rêvé nos indépendances et de révolutions romantiques ; l’histoire réelle fut tragique. Ces années ont aussi été celles de la guerre froide. J’ai été confronté à la mentalité d’appareil. Je n’étais pas, je ne pouvais pas, je ne pourrais jamais être un homme d’appareil. D’où ma double vie : d’une part celle de serviteur de l’État, d’autre part celle de créateur dans le domaine des lettres. Dans les deux cas, de manière différente, j’ai œuvré à la construction nationale et, peut-être, à l’émergence d’une conscience africaine.

Je suis l’enfant d’un couple divorcé. Mon père nourricier était français, grand lecteur. Il a eu une influence sur ce qui allait devenir mon écriture, il était intraitable sur les fautes d’orthographe et de syntaxe. Le Méridional parle, comme beaucoup de mes livres, de filiation. Je n’étais pas un enfant abandonné mais certaines tranches de ma vie y ont ressemblé. Mes parents m’ont laissé seul dans un internat en France, en 1949. Je ne les ai revus que trois ans plus tard. J’ai eu l’obligation d’être un adulte avant l’âge.

Tous mes livres, à partir d’une certaine période, parlent du métissage. Senghor l’a théorisé mais je me pense comme l’écrivain du métissage. Dans Le Méridional, je dis, qu’au bout du compte, nous sommes tous métis.

Je considère que le français, comme l’anglais et le portugais, est une langue africaine. Ces langues font partie de la vie quotidienne. Quand on rencontre un Sénégalais ou un Malien, le chemin le plus rapide pour se comprendre, c’est le français. C’est la langue par laquelle on devient africain. Jeune directeur général de l’Enseignement [de 1966 à 1968, ndlr], j’ai voulu mettre au programme les langues congolaises et je me suis heurté à l’opposition de tous les intéressés. Dans un cours d’alphabétisation, un adulte m’a interpellé : « Si vous nous alphabétisez en lingala, où sont les bibliothèques, les journaux dans cette langue ? » Un autre m’a demandé en quelle langue nous nous exprimions en conseil des ministres. C’était en français, qui représentait la langue du pouvoir. Les en priver, c’était comme si l’on voulait empêcher leurs enfants d’accéder au pouvoir.