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Point de vue

Les relations sino africaines : Vers un nouveau paradigme

Par Michel Mongo - Publié en octobre 2020
Diplômé en Droit, Sciences Politiques et Sciences de l’Information et de la Communication
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En choisissant en mars 2013, la Tanzanie, l’Afrique du Sud et le Congo Brazzaville comme premières destinations officielles après la Russie, le nouveau Président chinois XI Jinping voulait adresser un signal fort sur les priorités en matière de coopération de la République Populaire de Chine. L’étape de Brazzaville qui clôturait cette première tournée officielle, pouvait être perçue comme la reconnaissance du rôle et de la place occupés par ce petit pays d’Afrique Centrale, au plus fort des tensions nées de la guerre froide entre les blocs idéologiques d’alors. Brazzaville fut en effet, l’une des premières capitales africaines ayant reconnu dès le 22 février 1964, la République Populaire comme seule et unique Chine. Cette visite d’Etat du Président XI, nouveau dirigeant d’un pays qui affiche sa volonté de devenir à terme, la première puissance économique du Monde, venait consacrer une coopération que les Congolais appréciaient et que les Chinois voulaient amplifier. A la faveur d’une conjonction de facteurs positifs alliant à la fois, une demande chinoise accrue en matières premières et une nécessité pour les Etats africains de se doter d’infrastructures de base, le Congo trouva auprès de la République Populaire de Chine, un partenaire lui apportant des facilités  techniques et financières. C’est ainsi que le continent noir, zone du « No Future » comme le présentait une certaine opinion au plus fort de la vague afro-pessimiste du milieu des années 1980 avec les programmes d’ajustement structurel des institutions de Bretton Woods, commença à retrouver une attractivité auprès des partenaires au développement, grâce à cet intérêt croissant de la Chine. Au Congo, des projets fantasmés comme la route Brazzaville-Pointe Noire, la mise aux standards internationaux des aéroports de Maya-Maya et de Pointe Noire, le raccordement de tous les chefs-lieux provinciaux à Brazzaville par une route bitumée, à l’exception d’Impfondo dans l’extrême nord, vinrent consacrer le concept du gagnant-gagnant dans les échanges entre les deux pays. Dans les secteurs des mines, de la forêt, du bâtiment et du commerce général, les entreprises chinoises installées au Congo contribuèrent à augmenter le volume des échanges, qui passèrent de 290 millions de USD en 2002 à 6,5 milliards de USD en 2013, année de la visite d’Etat de XI Jinping. Le Congo occupait alors le 6ème rang des partenaires commerciaux africains de la Chine et l’Empire du Milieu, était le 1er partenaire commercial du pays.

Pour fluidifier davantage ces échanges et permettre une intervention directe des capitaux chinois au Congo, les deux pays décidèrent de créer la première banque sino africaine (BSCA) dotée d’un capital de 100 millions de USD.

Il sied donc, près de 20 après l’accroissement fulgurant des échanges entre la Chine et l’Afrique et dans le cas d’espèce, le Congo, de marquer une pause en revisitant les ressorts de cette coopération et en explorant de nouvelles perspectives.

L’étroitesse des liens politiques résultant d’une proximité idéologique entre les deux pays pendant plus d’une vingtaine d’années, a indéniablement joué en faveur du Congo Brazzaville, une fois que la Chine des 4 modernisations a voulu étendre son poids économique sur le continent. Les deux pays ont successivement signé un Partenariat stratégique au milieu des années 2000 avant de l’élever en Partenariat Stratégique Global en 2018. C’est sur la base de ces instruments politiques et juridiques que la Chine a pu financer à travers deux institutions importantes, EximBank China et la China Development Bank, les grands projets d’infrastructures au Congo. La formule des contrats EPC (Engineering Procurement Construction)  avec ou sans financement direct a été privilégiée. Ce choix qui résultait d’un certain nombre de facteurs objectifs ne peut être assimilé en aucune façon, à un investissement direct chinois, dans la mesure où les infrastructures construites ont été remises dès leur achèvement au maître d’ouvrage, c’est-à-dire le gouvernement congolais. Dans ce modèle, les entreprises chinoises étaient réglées soit par le Gouvernement congolais, comme dans le cas de la route Pointe Noire-Brazzaville, soit par l’institution financière chinoise ayant soutenu le projet. Ce dernier mécanisme a suscité de la part des contempteurs de la Chine - quand le Congo pour des raisons objectives (chute des cours du pétrole) a commencé à faire défaut sur ses échéances - un procès en néocolonialisme par le truchement de la dette. Le Congo, avec un stock de dettes estimé à 3,15 milliards USD à l’endroit de la Chine soit 35% de son encours total estimé selon le FMI en 2019 à 9 milliards USD, n’est pas pour ainsi dire asphyxié par la seule dette chinoise. Les deux pays ont signé le 29 avril 2019 un accord de restructuration, de rééchelonnement voire d’annulation d’une partie de cette dette.

Plus globalement, certains acteurs internationaux, pour des raisons évidentes de leadership mondial, ont fait de la dette des pays africains envers la Chine, un élément de langage dans cette bataille. A l’épreuve des chiffres, si l’Afrique est perçue comme lourdement endettée à l’égard de la Chine, cela relève plus d’une illusion d’optique que d’une réalité intangible. Dans un article paru le 15 avril 2020 dans la revue The Diplomat intitulé « Chinese Debt Relief. Fact and Fiction », Madame Deborah Brautigam, politologue américaine et professeure à la John Hopkins University, remet en cause le chiffre de 40% complaisamment  repris par la presse occidentale et situe pour sa part, le taux de cette dette à 17% du stock global de la dette africaine. Le débat entre experts ferait osciller cette dette dans une fourchette comprise entre 145 milliards USD et 365 milliards USD en 2018. En vérité selon Madame Brautigam, cette fourchette ne correspond pas au stock réel de la dette africaine envers la Chine, certains prêts ont d’ores et déjà été remboursés quand d’autres sont en cours de remboursement. Au total, il est difficile d’évaluer le poids exact que peut représenter cette dette pour les pays africains, car il faudrait pouvoir estimer le service de la dette, c’est à dire l’ensemble des remboursements du principal et du paiement des intérêts.  Bref, comme le suggère l’économiste français Thierry PAIRAULT, si l’Afrique est lourdement endettée à l’égard de la Chine, c’est dans des proportions bien moindres que ce qui a pu être proclamé et repris avec des arrière-pensées plus politiques. En fait, dans le contexte actuel conclut-il, les chiffres relayés par les médias en Occident, mesurent plutôt la « punition » que le G20 aurait voulu imposer à la Chine pour son interventionnisme en Afrique.

L’irruption du coronavirus SARS COV2 en Chine courant décembre 2019 et la fulgurance de sa propagation à travers le monde à partir de mars 2020, sont venues polariser la bataille pour le leadership mondial entre les Etats Unis et leurs alliés, et la Chine. Les pays africains se sont retrouvés au cœur de cette bataille, où certains leur annonçaient le pire et d’autres compassions et appuis. La corrélation entre dette et Covid a vite été établie et un pays s’est retrouvé au centre des critiques sur l’effondrement annoncé du continent africain. Les philanthropes membres du G20 se sont alors érigés en amis permanents de l’Afrique, en décidant gel, suspension ou peut être annulation contrairement à la Chine qui n’aurait pas accepté de s’associer à cette initiative.  Les choses, à la vérité, ne sont pas aussi manichéennes que l’on veut nous les présenter. Pour certains pays africains à dette difficilement soutenable, le Covid n’est venu qu’amplifier une situation déjà difficile. Pour d’autres, ce sera inévitablement la récession au Nord qui rendra non soutenable ou difficilement soutenable une situation d’endettement qui aurait été moins précaire en temps normal.

Pour le Professeur émérite français Jacky MATHONNAT de l’Université  Clermont Auvergne, la Chine aurait été conduite depuis le début des années 2000 à restructurer ou à annuler 140 prêts consentis à des pays en développement. Il note que la Chine s’est dotée d’un cadre d’analyse de la soutenabilité de la dette très proche sur des points essentiels, de celui utilisé par le FMI et la Banque Mondiale. Dans un livre blanc publié le 7 juin dernier et intitulé « Fighting Covid-19 : China in Action », la Chine détaille sa stratégie en mettant l’accent sur son engagement en faveur de processus de coopération internationale sous l’égide de l’OMS, comme clé de la lutte efficace et efficiente contre la pandémie à l’échelle mondiale.

Bien que raillée par un pan de la communauté internationale, toujours le même, la « diplomatie du masque » a été très largement appréciée sur le continent africain. Un pays comme le Congo Brazzaville, exclu jusqu’à ce jour de l’accès au Fonds d’urgence Covid 19 du FMI, a pu compter sur l’empathie des autorités politiques, associatives et économiques de la Chine et de sa diaspora, pour avoir accès gratuitement ou à des prix très compétitifs, à des masques, des respirateurs, des réactifs et d’autres équipements hospitaliers. Au nom de quels principes, la Chine ne devrait-elle pas saisir cette opportunité pour promouvoir ses ambitions et ses intérêts sur le continent, tout en élargissant son influence sur la scène internationale, renforçant ainsi son soft power. Les rapports internationaux sont ainsi faits, que les Etats cherchent à utiliser leur aide en certaines circonstances, pour servir aussi certains de leurs objectifs économiques et de politique étrangère. Qui se plaindra des annonces du Président XI lors de la 73ème assemblée mondiale de la santé, relative à l’octroi d’une aide de 2 milliards USD pour les pays en développement ainsi que de la création d’un hub humanitaire global, destiné à lutter contre les pandémies en collaboration avec les Nations Unies ? Qui se plaindra de ce que le futur vaccin chinois soit un bien public global, une fois qu’il aura reçu toutes les validations requises en la matière ? C’est de la sorte que fonctionne le monde. Le jour où l’Afrique atteindra une telle capacité de projection, elle ne se privera pas de le faire savoir.

Ceci étant posé, vers quel paradigme doit-on rediriger la coopération sino africaine pour la prochaine décade. Un consensus est en train de se dégager de part et d’autre, sur la fin du cycle des contrats de type EPC (Engineering Procurement Construction). Les autorités chinoises en créant en 2016, la China Overseas Infrastructure Development Investment Co. Ltd (COIDIC) ont voulu mettre un accent plus prononcé sur les chaînes de valeur. L’idée sous-jacente est celle dépasser les contrats d’infrastructure clés en main, pour devenir, gestionnaire de ces infrastructures à travers des PPP, des BOT ou des concessions de services. La structure de l’actionnariat de la COIDIC s’y prête d’ailleurs en ce qu’elle réunie une variété d’actionnaires, embrassant plusieurs compétences.

Ce nouveau paradigme s’appuie selon Zhou Chao, vice-président du Fonds de Développement Chine-Afrique et Président de la COIDIC, sur la stratégie des « 3+1 » qui comprend l’électricité et l’énergie, les infrastructures de transport, les TIC et les infrastructures publiques urbaines. La COIDIC souligne t-il, s’aligne sur les principes de fonctionnement qui guident les institutions ouvertes au marché et respecte les trois principes cardinaux des projets, à savoir : importance stratégique, équilibre financier et développement durable de l’institution. Elle parie, in fine, sur l’effet d’entraînement sur l’économie et les sociétés locales africaines de cette nouvelle approche plus inclusive.

La COIDIC qui dispose d’un capital de 500 millions USD, est le plus grand fonds au monde, spécialisé dans les avant-projets de développement des infrastructures à l’étranger. Elle emprunte le modèle international dit du Développement-Transfert, qui suppose que le financement d’un projet soit compensé par le cash-flow généré par ce projet afin d’atteindre son équilibre financier et se développer durablement.

Dans le cas du Congo-Brazzaville, suite à l’Accord-Cadre signé en septembre 2018 à Beijing avec le Gouvernement congolais, la COIDIC a établi un avant-projet de développement de la zone économique spéciale de Pointe Noire, en prenant la valorisation de la zone comme assise. La COIDIC développera des infrastructures de soutien telles que l’électricité, le port et les services. Pour Zhou Chao, ce projet a été retenu comme un projet phare de la coopération sino-africaine en matière de capacités de production. Avec l’avancement prévisible de l’industrialisation de l’Afrique, et afin de réduire les charges financières, la plupart des gouvernements africains dont celui du Congo Brazzaville, ouvrent progressivement à l’investissement, les secteurs de l’énergie, des transports et des services urbains, permettant aux investisseurs d’entrer dans les projets à travers de multiples modèles de financement tels que les BOT, BOOT et les PPP. L’objectif visé par la COIDIC est celui de passer de la seule exportation de main-d’œuvre à l’exportation combinée de main-d’œuvre, de capitaux, de technologies, de normes ainsi qu’à la gestion. A ce titre, on peut signaler dans cette nouvelle donne, l’entrée de la China State Construction Engineering (CSCE) dans le capital de la Congolaise des Routes, après en avoir été le constructeur. Cette concession de 27 ans, permettra à cette entreprise en association avec EGIS International et l’Etat Congolais, d’entretenir et de gérer un corridor de plus de 1200 km, qui va du Port de Pointe Noire à la zone riche en fer de classe mondiale, des Monts Nabemba , Avima et Bandondo dans le Département de la Sangha au nord Congo. Toujours dans la valorisation de ce minerai, cette fois ci dans la partie méridionale du Congo, l’on peut signaler l’accord intervenu entre Zanaga Iron Ore Company Ltd(ZIOC) et la COIDIC, relatif à une prise de participation de cette dernière dans le capital de ZIOC. Anticipant l’implication de la COIDIC dans la réalisation de la ZES de Pointe Noire, les deux parties espèrent que les infrastructures prévues dans cette zone, seront en phase avec leurs objectifs de participation à la gestion des infrastructures pour l’un et de rentabilité pour l’autre. Ce modèle se retrouvera aussi dans le cadre d’un projet vieux de presque  60 ans, à savoir le barrage hydroélectrique de Sounda dans le Kouilou. Estimé à plus de 2 milliards USD et pour lequel le Congo avait choisi la SFI, filiale de la Banque Mondiale, comme facilitateur, c’est finalement China Railway Group Corporation qui sera l’aménageur dans le cadre d’un contrat de concession.

En conclusion, nous pouvons dire que les perspectives d’un nouveau cours des relations sino-africaines se dessinent avec une vision plus pragmatique adossée à un environnement juridique, commercial et social plus approprié. L’Afrique intégrée au sein de la ZLECA postule à terme, à promouvoir son industrie et à consommer ce qu’elle produira. Elle est poreuse à tous les partenaires qui voudront l’accompagner à offrir à sa population un peu de dignité et d’estime de soi. Civilisation cinq fois millénaire, et ayant connu toutes les nuances de la grandeur et de la décadence, la Chine est à même de comprendre l’Afrique et de l’aider à atteindre le respect qui lui est dû.