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Interview

Stéphane Baké
Étoile Montante

Par Sophie Rosemont - Publié en avril 2021
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Stéphane Bak
 GARETH CATTERMOLE/CONTOUR BY GETTY IMAGES

À 24 ans, cet acteur français d’origine congolaise a déjà plus de dix ans de carrière, tourne avec les plus grands du cinéma et se partage entre drame et comédie avec une aisance confondante.

Mai 2012. Durant le Festival de Cannes, Le Grand Journal de Canal+ recrute un nouveau chroniqueur. Il a 15 ans, s’appelle Stéphane Bak et s’amuse à titiller les invités de Michel Denisot avec un brio étonnant pour son jeune âge. S’ensuivent une tournée en one-man-show et des participations à des émissions audiovisuelles, qui le consacrent comme une étoile montante de l’humour français. Sauf que le jeune Bak a plus d’un tour dans son sac. Et, au bout de quelques années, s’essaye à tous les registres, y compris les plus sombres. Devenant tour à tour prédicateur islamiste, soldat rwandais perdu dans la jungle congolaise, lycéen partagé entre rébellion et savoir, il impose son jeu dans l’industrie du cinéma. À venir, Tokyo Shaking, d’Olivier Peyon (où il partage l’affiche avec Karin Viard), Twist à Bamako, de Robert Guédiguian, et… The French Dispatch, de Wes Anderson, excusez du peu ! Fier de ses origines congolaises mais amoureux de la France, Stéphane Bak est un acteur qui compte et qui n’a pas fini de nous surprendre.

AM : Avoir dix ans de carrière à 24 ans, ça fait quoi ?

Stéphane Bak : Dix ans de carrière ! C’est très étrange de prononcer ces mots. En tout cas, le fait d’avoir commencé tôt m’apporte désormais plus de sérénité. Au début, on veut faire plaisir à ses parents, à ses proches, on dit oui à toutes les propositions. On part dans tous les sens, euphorique, on a du mal à se poser. Entre 14 et 17 ans, je calculais à peine ce qui m’arrivait, je ne me posais aucune question ! Quelque part, c’est beau, cette presque inconscience, mais parfois, on paye des erreurs de jugement, qui ne seraient pas arrivées si on avait pris le temps de se pencher sur le dossier cinq minutes. Même si toute expérience est formatrice, aujourd’hui, je me dis : « Écoute, mon petit gars, réfléchis bien à ce que tu veux faire. » C’est aussi pour cette raison que, sans être paternaliste, j’essaye de conseiller les débutants que je rencontre.

Même posé, vous travaillez beaucoup ! Quand les cinémas rouvriront, vous serez à l’affiche de plusieurs films, parmi lesquels Twist à Bamako, de Robert Guédiguian. C’était comment de tourner au Sénégal ?

Simple, intuitif, magique. Surtout avec l’équipe singulière qui est celle de Robert Guédiguian, comme une troupe de théâtre dont les membres sont les mêmes depuis longtemps. Il y avait beaucoup de Marseillais, un peu de Parisiens et des Sénégalais, donc on échangeait dans nos dialectes respectifs ! À l’annonce du confinement, on a dû plier bagage, très tristes car on avait créé des liens, et parce qu’on avait peur pour nos proches. Puis, nous avons pu revenir au Sénégal et tourner entre Podor, Thiès et Saint-Louis. Une expérience incroyable.

Tourné au Sénégal, Twist à Bamako, de Robert Guédiguian, sortira prochainement.
Tourné au Sénégal, Twist à Bamako, de Robert Guédiguian, sortira prochainement. AGAT FILMS

Malick Sidibé est le point de départ narratif du film ?

Oui, après avoir vu l’exposition qui lui a récemment été consacrée à la Fondation Cartier, Robert Guédiguian a décidé de s’inspirer de cette époque, les années 1960 au Mali. Il ne s’agit pas seulement d’une retranscription de looks incroyables ou de l’invasion du twist, il s’agit aussi de révolution, car le contexte politique est tendu. On raconte le parcours d’un jeune révolutionnaire, que j’incarne, qui croit au projet socialiste et veut se battre à tout prix pour celui-ci. C’est un film où l’on parle, danse. Pour certaines scènes, il y a eu des centaines de figurants… en respectant la distanciation sociale, bien sûr.

Et comment vous êtes-vous retrouvé dans le prochain Wes Anderson, The French Dispatch ?

J’ai toujours baigné dans l’univers de ses films, je suis un bébé Wes Anderson ! Je lis toutes les actualités à son sujet, et un beau matin, j’ai vu qu’il préparait un nouveau film. J’ai appelé mon agent en lui disant que je voulais absolument en faire partie, aussi fantaisiste que cela pouvait paraître… Quelques mois plus tard, la directrice de casting m’a appelé pour que je passe des essais. Et voilà, je me suis retrouvé sur un plateau avec Bill Murray, à échanger avec Frances McDormand, à travailler avec Timothée Chalamet, l’un de mes meilleurs amis… C’est un petit rôle, mais je suis si heureux de faire partie de son univers, de cette inventivité et de cette patte esthétique qui fait qu’on reconnaît immédiatement ses films. Je lui serai éternellement dévoué !

Après cette expérience, l’envie de vous exporter à Hollywood ne vous titille pas ?

Pas vraiment : je me sens très bien à Paris. Il y a encore plein de réalisateurs français avec lesquels j’aimerais tourner, et finalement, au vu du contexte actuel, quoi de plus important que de rester chez soi ? Et d’entretenir sa passion au fil des possibilités qui s’offrent à nous, que l’on crée également.

Si vous avez été révélé par la comédie, on a néanmoins pu vous découvrir dans un registre dramatique ces dernières années, par exemple dans L’Adieu à la nuit, d’André Téchiné, où vous incarniez un personnage inquiétant. C’était important de montrer un autre visage ?

Absolument. Ça l’a toujours été. L’origine de ma vocation ne se trouve pas seulement dans l’humour, c’est un drame qui m’a poussé à monter sur scène. Quand j’étais au collège, mon unique but était de faire le pitre et de me faire virer de chaque cours de la journée. Notre professeure de français, qui estimait que l’on ne comprenait rien à rien, insistait pour qu’on aille au moins une fois au cinéma. Alors, avec l’un de mes amis, on est allé voir Un prophète, de Jacques Audiard. C’est ce qui se jouait ce jour-là au cinéma Louis-Daquin, au Blanc-Mesnil. Je n’avais aucune idée de ce dont ça parlait, et, en sortant, j’avais pris une claque énorme ! J’ai compris que c’était précisément ça que je voulais faire.

En 2012, vous devenez le plus jeune humoriste de France…

J’ai débuté par le comique et le stand up, j’y ai fait mes armes, mais j’ai toujours été convaincu que je pouvais m’approcher d’un autre cinéma, et pas uniquement des comédies. J’ai pris des cours, je me suis inscrit au Cours Florent, sans être non plus un élève très assidu… Mais je n’ai jamais cessé de travailler plus un élève très assidu… Mais je n’ai jamais cessé de travailler dans une ébullition qui me portait vers cet objectif : passer de la comédie au drame, et inversement. Être un acteur capable de jouer des registres différents, c’est un combat au quotidien en France, où le cinéma est cloisonné. Ce qui est très dommage. Aux États-Unis, c’est très fréquent de voir des comédiens varier les plaisirs. Shia LaBeouf a commencé dans le stand up, Will Smith, qui est aussi danseur et chanteur, a tout joué… Moi, je suis avant tout un amoureux des films, des pièces de théâtre, tragiques ou comiques : seule l’émotion compte. Et j’ai la chance que les cinéastes avec lesquels je collabore le comprennent.

Connaissant cette frilosité justement du cinéma français envers les artistes multifacettes, comment avez-vous réussi à diversifier vos rôles ?

En arrêtant la radio. J’avais des petits rôles dans des comédies, comme Les Gamins et Les Profs, mais je ne me sentais pas encore à ma place. Il me semble avoir été victime d’une vraie discrimination des directeurs de casting, à cause de ma notoriété à la suite des émissions de Laurent Ruquier sur France 2 ou d’Enora Malagré sur Virgin Radio. J’ai été victime de cette étiquette comique, qui semblait dissimuler ma sensibilité. Alors, j’ai fait un choix drastique. Même si l’humour comptera toujours pour moi, j’ai décidé de ne me concentrer uniquement que sur ce que je voulais exprimer à ce moment-là : c’est-à-dire quelque chose de plus sombre, plus complexe. En 2014, Marie-Castille Mention-Schaar m’a engagé pour jouer dans son beau film Les Héritiers, qui raconte l’histoire d’une classe passant le Concours national de la résistance et de la déportation. Ce projet a ouvert la voie à d’autres : Elle de Paul Verhoeven, L’Outsider de Christophe Barratier, Roads de Sebastian Schipper, le Téchiné… De fil en aiguille, j’ai enchaîné les tournages.

Dans Roads, il joue un jeune Congolais qui cherche son frère à Calais.
Dans Roads, il joue
un jeune Congolais qui
cherche son frère à Calais. MISSING LINK FILMS - KAZAK PRODUCTIONS

Vous êtes né en Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, mais vos parents sont congolais : en quoi cela compte pour vous et dans vos choix artistiques ?

J’ai un rapport très fort, aussi bien affectif que culturel, à mes origines. Et j’ai la chance, par mon travail, de les faire résonner dans mon quotidien. Les films que je tourne me permettent de me connecter à mon africanité. En témoigne La Miséricorde de la jungle, du Rwandais Joël Karekezi, qui se déroule durant la deuxième guerre du Congo – c’est-à-dire le pays de mon père, qu’il a dû quitter durant les années 1980… Le film avait un petit budget, il a été tourné dans des conditions très spéciales, en pleine forêt, et cela a été très formateur. Il nous a valu de concourir dans des festivals, et notamment de remporter l’Étalon d’Or de Yennenga du Fespaco 2019. Dans Roads de Sebastian Schipper, je suis un jeune Congolais qui va chercher son frère à Calais… Le sujet est crucial, car des milliers de migrants décédés dans les mers, c’est une réalité. Et pourtant, ce sont des thématiques dont on n’entend pas assez parler. 

Qui sont les acteurs qui ont pu influencer votre jeu ou, du moins, vous inspirer par leur carrière ?

Bill Murray, Michel Serrault, Gene Hackman, Benjamin Biolay… Et Chadwick Boseman, dont la mort m’a énormément attristé. Bien avant que Black Panther ne sorte, j’étais déjà impressionné par sa rigueur et sa détermination. Lui aussi a commencé sa carrière très jeune. Quand j’ai su le combat qu’il avait mené contre la maladie, sans jamais rien en montrer, même sur un plateau, ça m’a bouleversé. Cette force, cette dignité à la scène comme à la ville force le respect.

Quand vous ne tournez pas, que faites-vous ?

Je lis. Surtout en tournage, d’ailleurs ! Je suis assez solitaire, et je n’aime rien tant que m’isoler dans ma chambre avec un livre. En ce moment, je suis plongé dans Nickel Boys, de Colson Whitehead, qui est très impressionnant, et, en parallèle, dans Black Athena, de Martin Bernal, un essai de sociologie qui explique en quoi la civilisation grecque puise ses traditions et ses coutumes dans les racines africaines et asiatiques. Récemment, j’ai aussi exploré l’oeuvre d’Édouard Glissant, notamment Le Traité du Tout-Monde. Je m’intéresse en outre de près aux arts plastiques : la peinture figurative du Ghanéen Amoako Boafo, les céramiques de la Britannique d’origine kenyane Magdalene Odundo…

Vous êtes également mélomane. Quels sont vos derniers coups de coeur ?

Une chanteuse suédoise d’origine iranienne, Snoh Aalegra, qui est absolument incroyable. C’est un mélange entre Sade et Brandy, du R’n’B à l’ancienne ! Mais la voix qui me berce au jour le jour reste celle de Frank Ocean.

Lequel de vos rêves aimeriez-vous voir vite exaucer ?

Acheter une photographie de Malick Sidibé, que je puisse religieusement encadrer dans mon appartement !