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Editos

Une nouvelle Chine

Par Zyad Limam - Publié en avril 2021
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On le sait, en quarante ans, la Chine est passée d’un immense empire pauvre au statut de pre mière économie du monde. C’est une performance unique dans l’histoire de l’humanité. Sur la période, le pays a affiché une croissance moyenne de 10 % par an. Et son PIB global a été multiplié par 38. En 1981, la Chine avait exporté pour 25 milliards de dollars. Aujourd’hui, ses exportations atteignent près de 3 000 milliards.

La patrie de « l’économie socialiste de marché » n’est plus le sous-traitant industriel mondial se contentant de fabriquer à la chaîne des téléviseurs ou des frigidaires. L’économie se sophistique et investit tous les domaines du futur, intelligence artificielle, data processing, téléphonie en 5G, espace, recherche scientifique… La Chine déploie son influence à travers le monde, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, et aussi en Europe, où elle a pris pied dans des ports italiens et grecs. Les nouvelles routes de la soie, projet pharaonique de sécurisation de son commerce, se dessinent sur la carte, en rappelant au monde que dans le passé, la Chine a longtemps été la première puissance. L’histoire se régénère après la décadence de l’empire, et le siècle des humiliations (qui court à partir de la perte de Hong Kong jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale).

Contrairement aux États-Unis, la Chine n’a pas été animée par une volonté d’expansion militaire, d’impérialisme par la force. Elle n’a mené directement aucune guerre externe depuis 1945. Et la puissante Armée de libération du peuple sert avant tout à « défendre la patrie ». L’obsession historique reste le maintien à tout prix de l’unité du pays, le centralisme, le renforcement d’une identité homogène, la généralisation de la culture Han, celle du peuple chinois « historique ». Pour éviter le spectre de l’implosion et de la décadence. C’est tout le sens du verrouillage démocratique et le rôle du parti dit communiste, dans un pays qui compte par ailleurs le plus grand nombre de milliardaires au monde.

À bien des égards, la Chine peut savourer son triomphe. Sa victoire, certes relative, contre le Covid-19 a conforté son sentiment d’être dans le bon chemin, à la différence des pays occidentaux, « faibles et désorganisés ». Devant la session de l’Assemblée nationale populaire début mars, Xi Jinping, le timonier actuel, aurait confié : « La Chine peut maintenant regarder le monde dans les yeux. » L’avenir serait donc en Orient, dans une Asie au centre de laquelle se trouve une Chine toute puissante, qui compte sur son poids, son économie, ses ressources technologiques, ses moyens financiers pour asseoir une domination durable.

Cette ambition s’accompagne d’un net durcissement « externe ». Aux Américains, aux Occidentaux, le message est clair : « Vous n’avez pas de leçons à nous donner, notre système est plus efficace, et il séduit aux quatre coins de la planète. » Beijing assume ses ambitions en mer de Chine, en essayant de faire plier le droit international. Hong Kong la rebelle a été mise au pas, au mépris des traités, après les grandes manifestations pro-démocratie de 2019 et 2020. Enfin, la répression insensée, inacceptable, des Ouïgours dans le Xinjiang souligne jusqu’où la « Chine centrale » est prête à aller pour asseoir « l’unité ». Tout aussi grave est la situation concernant Taïwan. La Chine ne renonce pas à la réunification. Une grande partie de la légitimité du Parti repose sur cet incontournable objectif historique. Ici, dans le détroit de Formose, la guerre n’est pas exclue.

Le monde, les États-Unis et l’Europe en premier lieu vont devoir apprendre à vivre, négocier, composer avec cette « super China ». Mais la Chine devra aussi apprendre à vivre avec le monde. La puissance passe par le soft power, par l’échange, le débat, la séduction du mode de vie, le voyage. Enfermée dans ses certitudes et ses frontières (depuis la crise du Covid), la Chine ne pourra être grande qu’en s’ouvrant réellement à « l’autre », à la « diversité », à « l’altérité ».