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Kamel Ouali: |Je dois tout à la danse|

Par Astrid Krivian - Publié en janvier 2020
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Enfant kabyle de Saint-le chorégraphe français éblouit depuis avec L’Oiseau une revue moderne, et sensuelle, menée par l’ex-Miss et Univers Iris Mittenaere. Dialogue un surdoué du mouvement.

Quand il nous reçoit dans son appartement parisien, on retrouve la personnalité sympathique qui a tant séduit le public dans le télécrochet Star Academy, diffusé sur TF1, de 2001 à 2008. Le succès de ce show, dans lequel il était le professeur de danse des candidats, le popularisa et propulsa sa jeune carrière. Né de parents kabyles en 1971 à Saint-Denis, en banlieue parisienne, il a 10 ans lorsqu’il choisit sa vocation. Et à peine 16 ans quand il devient professionnel. Épris de danse hip-hop, style dont il s’inspire encore aujourd’hui et qu’il amène sur des scènes grand public, Kamel Ouali diversifie sa palette, en dansant notamment pour Maurice Béjart dans Le Boléro de Ravel. Ce jeune prodige orchestre des clips (Khaled, Mariah Carey…), des défilés de mode (Ralph Lauren, Tom Ford…), s’expatrie un temps aux États-Unis. Après avoir chorégraphié son premier spectacle, French Cancan, aux Folies Bergères, puis Les Dix commandements, dirigé par Elie Chouraqui en 2000, il signe ensuite la mise en scène de superproductions à succès (Autant en emporte le vent, Dracula, Le Roi Soleil…). En 2009, il assure la direction artistique de la cérémonie d’ouverture du Festival panafricain d’Alger, réunissant des artistes de toute l’Afrique dans de somptueux tableaux racontant sa diversité. Depuis mai dernier, il met en scène la revue L’Oiseau Paradis dans le plus ancien cabaret parisien, le Paradis Latin. Avec sa troupe cosmopolite et sa meneuse Iris Mittenaere (Miss France et Miss Univers 2016), mêlant différents styles de danse, il revisite le french cancan… Un spectacle dédié aux femmes, sensuel, festif et résolument moderne, où se glissent références subtiles à l’actualité, moments de comédie et surprises féeriques.

AM : Quelles ont été vos inspirations pour Oiseau Paradis ?

Kamel Ouali : Monter un spectacle, c’est une partie de soi. Que je chorégraphie une revue ou un opéra, j’ai besoin d’exprimer ce que je ressens de la société actuelle. J’ai donc amené des sujets qui me touchaient – une démarche inhabituelle dans un cabaret – en présentant, par exemple, un tableau sur l’écologie, avec l’idée que même si les humains doivent préserver la planète, c’est la nature qui se sauvera elle-même. Ou ce tableau érotique, dans lequel les danseuses déploient leur sensualité, beaucoup de femmes autour de moi n’osant plus être désirables à cause du climat actuel. J’ai croisé ces éléments avec des moments très divertissants, pour que ce soit un grand moment de fête.

Vous vouliez mettre les femmes à l’honneur ?

Oui, le spectacle est dédié aux femmes. Édifié à la demande de Napoléon, le Paradis Latin fut ensuite détruit dans un incendie, puis reconstruit par Gustave Eiffel pour l’exposition universelle de 1889. Qu’il soit aimé ou détesté – et ce, pour des raisons valables –, Napoléon fait partie de l’histoire de ce lieu, la revue devait donc l’évoquer. J’ai voulu qu’une femme incarne ce personnage de pouvoir. Nous sommes quand même le pays de la déclaration universelle des droits de l’homme, mais encore aujourd’hui, au XXIe siècle, certains essaient de revenir en arrière. Comme toucher aux droits acquis des femmes, à l’avortement, etc. C’est d’une grande violence.

« C’est important d’avoir des artistes originaires du même endroit que moi. La culture hip-hop m’inspire toujours autant. »

Vous avez puisé dans les coutumes festives de Louis XIV…

Avant de commencer la création, j’ai fait le tour des cabarets parisiens. Ce qui m’a frappé, c’était le dîner classique avant le spectacle, il ne s’y passait rien, c’était frustrant ! J’ai conçu la soirée comme une expérience étonnante, du début à la fin, en saisissant les spectateurs dès l’ouverture des portes. Louis XIV, à qui j’ai consacré la comédie musicale Le Roi Soleil, éblouissait toujours ses convives lors de ses somptueuses fêtes, avec des animaux exotiques, etc. J’ai retranscrit cela : les danseurs, transformés en animaux fantastiques, accueillent les gens, il y a un pré-show animé par des chanteuses et des musiciens très sensuels et modernes. Le pari n’était pas gagné, car le public aurait peut-être souhaité dîner au calme. Mais il adore !

Votre troupe est à l’image de la société, dites-vous, constituée d’artistes de toutes les couleurs de peau, formés à des styles artistiques différents…

Je voulais retrouver sur scène la réalité de la rue. Une troupe cosmopolite avec des femmes noires, blanches, arabes, asiatiques, des blondes, des grandes, des petites… Toutes les femmes ! Là encore, je me différencie des autres cabarets, où les filles sont blanches à 97 % et font la taille mannequin… Ma signature est de mélanger différentes esthétiques de danse. Je suis le premier en France à avoir intégré des danseurs hiphop dans des spectacles. C’est important d’avoir des artistes originaires du même endroit que moi. Cette culture m’inspire toujours autant. J’aime cette rencontre artistique entre des gens issus d’univers très divers. C’est très riche. On va m’opposer que créer une cohérence d’ensemble, une homogénéité est compliqué. Mais non, l’harmonie est dans l’altérité, justement.

Est-ce différent de faire danser un corps dénudé ?

Oui, car il faut mettre en valeur ce corps. Tout est étudié, la lumière, etc. C’est une autre approche, un challenge de réussir à transmettre une énergie, une émotion, avec cette contrainte du corps dénudé. Car j’avais envie que tous les artistes, hommes et femmes, se sentent beaux et bien. J’aime autant travailler avec les danseuses qu’avec les danseurs. Je leur demande toujours beaucoup de présence, je ne veux pas d’un rendu figé de papier glacé. Très souvent, les spectacles de revue sont jolis, mais on a l’impression de regarder un magazine. Je veux que les artistes s’approprient le spectacle. Lors des castings, je m’intéresse toujours à la personnalité. En général, lorsqu’un artiste entre dans la salle d’audition, je sais déjà si je vais le choisir, avant même de le voir danser.

Quelles sont vos exigences ?

J’ai la chance d’avoir beaucoup de monde qui se présente à mes castings, et de travailler avec les meilleurs danseurs. Mais ça ne suffit pas. Parfois, je vais préférer un danseur avec un peu moins de maîtrise, mais un charisme d’enfer. C’est vraiment une question de rencontre. Une audition est un moment fragile, durant lequel beaucoup d’artistes perdent leurs moyens, c’est comme un entretien d’embauche. Il faut savoir déceler cette faille et donner une chance malgré tout, sentir une marge de progression possible. Mais on peut se tromper ! C’est sûr que j’ai dû passer à côté de personnes extraordinaires. Dans l’absolu, on va plutôt pencher sur quelqu’un qui coche toutes les cases.

Cette revue est aussi un hommage à Paris et au french cancan, danse emblématique du XIXe siècle…

En travaillant pour le plus ancien cabaret parisien, je me devais d’imaginer une revue sur la capitale. Je me suis approprié le french cancan, l’ai morcelé et emmené ailleurs, vers la techno… Toutefois, la tradition est importante, donc pour la mise en place du cancan classique, une danse compliquée, je me suis fait aider d’une spécialiste, Mary-Laure Philippon. C’est aussi un hommage à cette folle époque des cabarets au XIXe siècle, immortalisée par Toulouse-Lautrec. Je suis fou amoureux de Paris. Je vis en plein centre, j’ai besoin d’être dans la ville. Je fais partie de ceux qui aiment partir en vacances mais sont heureux de rentrer ! Pour aimer Paris, il ne faut pas la subir : le métro-boulot-dodo n’est pas très excitant. Moi, j’aime marcher, quitte à partir plus tôt pour mes rendez-vous, je me déplace beaucoup à vélo aussi. Passionné d’architecture, je m’émerveille chaque jour de ce qui m’entoure, c’est extraordinaire ! Je profite aussi de son offre culturelle, je visite plein d’expositions. J’ai la chance de pouvoir me permettre de dîner à l’extérieur très souvent.

Après trente ans de métier, comment nourrir l’inspiration ?

Je ne me suis pas enfermé dans la danse ni dans mon microcosme. Je suis vraiment dans la vie. Rester ouvert aux autres, s’intéresser à d’autres disciplines artistiques, être interpellé par les sujets de la société actuelle, regarder les passants quand je suis installé à un bistrot… Ce sont autant de sources d’inspiration. Je suis entouré de gens très jeunes, connectés à l’air du temps. Il faut rester en alerte, ne pas s’endormir sur ses lauriers.

« Il faut rester en alerte, ne pas s’endormir sur ses lauriers. »

La danse est-elle un moyen de se reconnecter à notre corps ?

Oui. C’est un moyen d’expression totale. Un danseur est beaucoup plus tactile qu’une personne lambda. On peut me mentir par la parole, mais quelqu’un qui me serre la main ou m’accole, je vais sentir son énergie et voir si des affinités existent, si c’est une jolie rencontre ou pas. Le corps est très important pour moi.

« Je danse donc je suis », disait le chorégraphe Maurice Béjart, pour lequel vous avez dansé. Partagez-vous cette idée ?

Complètement ! Car la danse a vraiment été une échappatoire, et elle demeure essentielle à ma vie. Je lui dois tout ! Je me suis toujours levé avec l’envie de travailler, de prendre un cours. Ce ne sont que des moments de bonheur ! En danse, on ne peut pas tricher, c’est une libération de soi. Né à Saint-Denis au sein d’une fratrie de 12 enfants où il fallait faire sa place, j’ai trouvé mon moment à moi, un moyen de me retrouver, qui n’appartenait à personne d’autre. Aujourd’hui, je préfère faire danser les autres sur scène. Mais je continue à pratiquer, en privé. Quand je danse, je me sens libre, c’est presque comme une séance de psy. Ce qui est dehors n’est plus dedans. On lâche tout. On ressent les émotions, et on les extrait de notre corps.

Quel est votre rapport avec la musique ?

J’en écoute tous les jours ! Mais je suis attentif à d’autres sons, comme le bruit de la rue, la nature… Tout est musique. J’ai eu la chance de dormir dans le désert en Algérie. Le silence, la beauté de la lumière… C’était l’instant le plus magique de ma vie !

Dès votre premier cours de danse, vous décidez d’y consacrer votre vie. Vos parents vous ont-ils encouragé ?

Pour mon père, c’était hors de question. J’avais 10 ans, et il voulait que je fasse du karaté ou du judo comme mes frères. Mais ma mère m’a payé mes cours chaque année. C’était le premier complot familial, on disait à mon père que je faisais de la gym. Pendant des années, il n’a pas su. Jusqu’à mon premier passage à la télévision, à 16 ans. Je lui ai dit de l’allumer le soir ; il ne comprenait pas. Quand je suis rentré, il m’a dit : « La prochaine fois, préviens-moi, que je dise à mes amis de regarder aussi. » Tout était rentré dans l’ordre !

Il n’a pas assisté à votre succès de son vivant. Mais pour vous, ce n’est pas très important…

Non. J’ai commencé à travailler très jeune. Mon père a donc vu que j’étais épanoui, que je vivais du métier de mes rêves, tout en continuant mes études. C’est ça qui importe. Après, l’ascension, le succès, la notoriété… ce n’est pas une finalité en soi.

La première fois que vous prenez l’avion, c’est en business pour chorégraphier le clip d’une star américaine…

Mariah Carey se produisait dans une émission, sur la chaîne M6, dans laquelle je chorégraphiais le passage d’un artiste, juste avant le sien. Elle a adoré mon travail et a demandé à me rencontrer. Son manager m’emmène dans sa loge. Étonnée par mon jeune âge, elle me dit : « J’aimerais qu’on travaille ensemble un jour. » J’étais tellement excité ! Mais plus de nouvelles par la suite… Un an après, je reçois un coup de fil : son manager me propose de travailler pour un clip, aux États-Unis ! C’était un moment super, une belle expérience. Tout droit sorti de la MJC à La Courneuve, je débarque sur un plateau avec une quarantaine de caméras, tout un staff autour d’elle… J’étais très jeune, je ne me rendais pas du tout compte de la pression en jeu. J’aimais tellement la danse, le partage, que c’étaient des cadeaux de la vie !

Pourquoi êtes-vous revenu en France après votre installation à Los Angeles ?

Pour travailler aux États-Unis en tant que danseur, il faut intégrer une agence. J’avais postulé pour la plus importante, qui gère les plus grandes stars, les projets les plus prestigieux. L’audition pour y entrer est un événement : entre 500 et 1 000 artistes se présentent, et seuls cinq à dix sont retenus. Je la passe, et je fais partie des cinq sélectionnés ! J’étais hyper content, c’était extraordinaire ! Mais lors de la fête organisée par mes colocataires pour l’occasion, j’ai eu un moment d’évidence : je n’avais pas envie de m’y installer. Ma vie, c’est la France, Paris, ma famille, mes amis. Je n’ai pas de rêve américain. Finalement, j’y suis allé pour être formé. Même si je n’étais pas sûr d’avoir un plan B, j’ai toujours fait des choix en accord avec moi-même, pour être heureux là où je suis. Parfois, je me suis trompé, mais à force de tomber, on apprend à se relever.

Quel est votre lien avec l’Algérie, le pays de vos parents ?

J’ai vraiment le sentiment d’avoir une double culture, même si mes parents ont tout fait pour que l’on « s’intègre ». S’intégrer, c’est facile quand on est né en France. Moi, je me sens français, mais eux ont dû fournir beaucoup d’efforts. Hélas, je ne parle ni arabe ni kabyle, mes parents ayant toujours voulu parler français avec nous. Ils parlaient kabyle avec leurs premiers enfants, mais je suis l’avant-dernier de la fratrie, donc entre-temps, ils avaient appris le français. Mes origines sont très importantes pour moi. D’ailleurs, c’est en Algérie que j’ai réalisé le plus beau projet de ma carrière : j’ai chorégraphié la cérémonie d’ouverture du Festival panafricain d’Alger en 2009, qui célébrait les indépendances africaines. J’ai eu le bonheur de mettre en scène Isabelle Adjani, Césaria Evora, et plus de 600 artistes, c’était magnifique, vraiment inoubliable ! J’étais très fier de le faire en Algérie, ça faisait sens avec mon histoire, celle de mes parents. J’aime ce pays, je m’y sens bien, en confiance, comme dans tout le continent. J’aime le côté solaire des Africains. Je m’intéresse à son histoire, je suis les actualités le plus possible. Être en Afrique est toujours une expérience incroyable et une chance.

ERIC FOUGÈRE/GETTY IMAGES. Sa carrière a décollé grâce à l’émission Star Academy, de 2001 à 2008, dans laquelle il chorégraphiait les prime time et enseignait sa discipline aux candidats.

Comment aviez-vous imaginé ce spectacle panafricain ?

J’avais auditionné des danseurs, des artistes de partout, de la Côte d’Ivoire au Mali, en passant par le Maroc et la Tunisie. J’ai découvert des richesses artistiques infinies, des gumboots d’Afrique du Sud aux Gnawas d’Algérie… Un échange très fort. Nous avons créé des tableaux d’une grande diversité, avec des Pygmées, des Gnawas, des Peuls… J’ai aussi engagé de nombreux plasticiens d’art contemporain, qu’ils soient émergents ou confirmés. En Algérie, j’ai été séduit par la force de leurs oeuvres. Hélas, il est très compliqué pour eux d’exposer, ce domaine se développant très peu.

Pensez-vous que le peuple algérien parviendra à renverser le système en place et impulser le changement tant souhaité ?

Je l’espère. L’Algérie est un pays somptueux avec une jeunesse volontaire. Si on leur donnait la possibilité d’évoluer, ce serait l’un des plus beaux pays du monde. Or, même si les jeunes font des études, ils ne trouvent pas de travail, tout est si difficile pour eux. Je ne comprends pas, c’est un pays qui possède des richesses, de l’argent, pourquoi ne pas restaurer ces superbes maisons et immeubles à Alger, partout…

Vous rêvez de chorégraphier l’ouverture des Jeux olympiques 2024, pour faire un clin d’oeil à votre histoire.

J’aimerais tant, mais c’est sans doute compliqué à réaliser [rires] ! Je jouerais à domicile, car on a détruit la maison de mes parents pour y construire le Stade de France. Les Jeux olyméquipes, nous effectuons beaucoup de recherches, pour aller jusqu’au bout des choses, dans les moindres détails. Donc je dors très peu quand je travaille sur de tels projets. Et même quand ils ne sont pas aussi importants d’ailleurs !

Parmi vos nombreuses collaborations (Liza Minnelli, Céline Dion, Tom Jones, Kylie Minogue, Charles Aznavour…), l’une d’entre elles vous a-t-elle plus marqué ?

Non. Quand je travaille avec un artiste, c’est sa personnalité qui m’interpelle, plus que sa notoriété. C’est une chance, certes, mais ce n’est pas la célébrité du danseur qui ajoute de la satisfaction.

Êtes-vous satisfait d’être un artiste populaire ?

Oui, car je veux parler au plus grand nombre de personnes. Toucher les gens, partager un moment de bonheur avec eux, qu’ils ressortent du spectacle avec des émotions. C’est plus simple de plaire à une salle de 100 personnes qu’à une salle de 5 000. En même temps que la Star Academy, au tout début, on m’avait proposé de monter un opéra. J’avais 26 ans. J’ai choisi cette émission et, pourtant, à l’époque, je ne savais pas qu’elle serait un tremplin formidable pour ma carrière, car c’était le premier programme du genre. Finalement, elle m’a rendu célèbre et permis de monter de super projets. Je suis fier d’être un artiste populaire.