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A l’ami Jean-Michel

Par Fouzia Marouf - Publié en mars 2020
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Débordant d'énergie et de bonne humeur, notre confrère Jean-Michel Denis est le premier journaliste français emporté par le Covid-19. Il s’est éteint à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, le 16 mars dernier. Chroniqueur passionné, fin connaisseur des musiques d'Afrique, il avait 70 ans. Retour sur une vie dédiée à la culture et au continent.
 
Les notes de musiques de Brenda Fassie ou Cesaria Evora dont il adorait les concerts intimistes s'élevaient doucement dès que l'on poussait la porte de son bureau à Afrique Magazine. Jean-Michel se retournait et vous accueillait avec un large sourire, prêt à vous faire voyager dans son monde toujours en mouvement, bigarré, ambiancé, consacré aux musiques des Afriques depuis plus de trente ans. Né en 1949, fruit des amours entre une mère originaire de Martinique, professeure de piano, et un père natif du sud-ouest de la France, journaliste sportif, qui mieux que lui pouvait pressentir les futurs grands du continent encore méconnus, comme Alpha Blondy, Youssou N'dour, Papa Wemba ou Magic System ?
Chroniqueur des tendances musicales, il aimait révéler la diversité du coupé-décalé d’Abidjan ou du raï d’Oran, dont il connaissait bien les charmes de la corniche. Après des études de philosophie, cet adepte de Nietzsche s’est laissé porter par l'appel des ondes : « Tu sais à quel âge on m'a donné ma chance comme journaliste ? À 30 ans, ma première interview pour RFI, c’était avec Warda, elle m'a reçu dans le 16 e arrondissement. J'en garde un souvenir incroyable ! », m’avait-il confié. Car Jean-Michel, c'était surtout une voix chaleureuse, comme sa personnalité, doublée d'un style unique, le menant de reportages en concerts, de mégapoles tentaculaires à la découverte de voix en grâces insoupçonnées. Sans compter le nombre d’artistes devenus compagnons de route et de fêtes, des amis comme A'salfo, le leader des Magic System, dont il signera les livrets de deux albums.
Le journaliste a été rédacteur en chef adjoint d'Afrique Magazine durant quatorze ans. « On palabrait beaucoup, on s'est engueulés, on a beaucoup ri aussi. On passait des nuits de bouclage à se prendre la tête pour une virgule, il avait ce sens du mot juste, impressionnant. Il était anticonformiste, tout en respectant le code typographique, c'était toute une époque ! » se souvient Olivia Marsaud, ancienne rédactrice en chef adjointe de 2007 à 2009.
Ses reportages l'amèneront plus tard à traiter d'autres sujets pour Paris Match Afrique, mais la musique était sa principale muse. Fidèle arpenteur du Festival des musiques urbaines d'Anoumabo, à Abidjan, il aimait défricher en avant-première les talents de demain. Le 28 février dernier, « Jean-Mimi » était encore en train d'ambiancer au concert de Fally Ipupa, à Bercy. Passeur de savoir, c’est lui qui m’a « lancée » dans ce média en 2004. J'ai été son élève la plus entêtée. Il a été mon père spirituel, me guidant dans l’écriture : « Au-delà de l'artiste, il faut dire qui est l'homme ou la femme-chair… », répétait- il au fil des années.
Sa plume sensuelle, ses éternels éclats de rire, sa gouaille incessante nous manqueront à jamais. Et sa mort brutale nous laisse un goût amer de blues. Nos pensées vont à sa famille. Que le repos lui soit doux.