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Une image, une histoire

LA HAVANE, 5 MARS 1960
LA LEGENDE DU CHE

Par Belkacem Bahlouli - Publié en février 2016
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C’EST AU PHOTOGRAPHE CUBAIN ALBERTO KORDA QUE L’ON DOIT CE CLICHÉ HISTORIQUE. Pourtant, ce portrait du Comandante a failli être totalement oublié. Ressorti à la mort du Che en 1967, il s’imposera comme symbole ultime de la révolte…sous forme de posters, T-shirts et autres mugs… grâce au peintre américain Andy Warhol.

EN PRENANT CE CLICHÉ, le 5 mars1960, le photographe cubain Alberto DíazGutierrez, dit Alberto Korda, né en 1928 à La Havane, ignorait encore la portéede cette image postérieurement intitulée El Guerrillero heroico, devenue depuis iconique. Ce cliché de l’Argentin Ernesto Guevara de la Serna, dit Che Guevara, a été pris lors de l’éloge funèbre prononcé par Fidel Castro dans la capitale cubaine en hommage aux victimes de l’explosion de La Coubre. Ce cargo français était venu livrer des armes au port de La Havaneafin de soutenir la revolución cubana. LeLíder Máximo, qui avait pris le pouvoirun an auparavant en chassant le dictateurFulgencio Batista, pointera – déjà – dansson oraison la responsabilité des États-Unis, alors en pleine guerre froide avec l’URSS, premier soutien des nouveaux dirigeantsde cette ancienne colonie espagnole située à 170 kilomètres des côtes américaines.

Korda travaillait alors pour le journal Revolución, l’organe officiel du M-26, le Mouvement du 26 juillet, fondé par Castro en 1953 pour renverser le pouvoir enplace. Face à la tribune, le photographecherchait à avoir une vue d’ensemble,regroupant toutes les personnalités présentes lors de l’éloge funèbre : « Je me trouvais à dix mètres de l’estrade lorsque je vis le Che s’approcherde la balustrade  près de laquelle se tenaient  Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. » Guevara, lui, était quelque peu en retrait. « J’ai l’œil vissé sur le viseur de mon Leica. Soudain surgitdu fond de la plate-forme, dans un espace vide, le Che. Il a une expression farouche. J’ai appuyé aussitôt sur le déclencheur, presque par réflexe. »

En arrivant à la rédaction, Korda développe sa pellicule et estime avoir pris une « bonne photo ». Pourtant, son journal ne la publiera que l’annéesuivante, en avril 1961, à l’occasion d’un article rétrospectif sur cet ancien médecin devenu commandant des« Barbudos » – les Barbus, surnom donné aux membres du M-26 –, qui s’était illustré pendant  la conquête de l’île à la fin des années 1950. Puis le cliché est oublié. Et ne ressortira qu’en août 1967, quand le Che lancera son désormais célèbre « Créer deux, trois… de nombreux Vietnam. Voilà le mot d’ordre ». La presse internationale, notamment Paris Match, publie àcette occasion un reportage sur le guérillero signé par le correspondant de guerre Jean Lartéguy et illustré avec ce fameux portrait.

Deux mois plus tard, cette photo,qui souligne le côté révolutionnaireromantique  et poétique du combattant, fait la une des journaux du monde entier pour annoncer la mort du Comandante,  abattu le 9 octobrepar les forces spéciales boliviennes alors qu’il combattait aux côtésde la guérilla marxiste-léniniste. Parallèlement,  un éditeur italien, Giangiacomo Feltrinelli, qui possédait un original que Korda lui avait offert, en tirera une affiche qu’il vendra à plus d’un million d’exemplaires.

L’année suivante, le peintre irlandais Jim Fitzpatrick stylisera cette image. Et l’artiste américain Gerard Malanga lui rajoutera un fond rouge vif avant de la signer du nomd’Andy Warhol… Le créateur pop-art new-yorkais, qui savait si bien capter l’attention en peignant des objets de consommation courante, ne s’offusquera pas de cette usurpation et mieux, revendiquera  ce portrait ! C’est celui-ci qui ornera les murs des chambres de millions d’adolescents dès la fin des années 1960. Avantde se voir décliné sur des T-shirts ou sur des mugs… Et si l’image fera le tour du monde, symbolisant encoreaujourd’hui le refus de l’autorité, Korda n’en retirera aucun droit d’auteur. Castro, lui, en commandera  un bas- relief d’une vingtaine de mètres dehaut qu’il fera installer sur la façadede l’un des immeubles cernant la place de la Révolution, à La Havane.