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La musique dans la peau

Par - Publié en mai 2018
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Malgré des moyens limités, la capitale impose son tempo. Pour le bonheur des mélomanes. 
 
Délestage de courant ou pas, tensions politiques ou non, Conakry reste festive. Contre vents et marées. Grand spécialiste de la musique africaine, le journaliste malien Mory Touré, le concède volontiers. « En Afrique de l’Ouest, la capitale guinéenne est une place incontournable en termes de concerts en plein air. » Du temps de Sékou Touré, les stars de la chanson, traditionnelle ou contemporaine, étaient des icônes, salariés de l’État et ambassadeurs de la République. Sory Kandia Kouyaté, Kélétigui et ses Tambourinis, Balla et ses Baladins, les membres du Bembeya Jazz étaient tous considérés comme des dieux vivants. Aujourd’hui, l’État s’est désengagé du financement des artistes et le show-business s’est peu à peu structuré. « De nouveaux métiers ont fait leur apparition, producteurs, tourneurs… Chez nous, l’industrie du spectacle est la seule qui marche », affirme Telly Diallo, 28 ans, producteur et manager de Soul Bang’s, prix Découvertes RFI 2016. 
 
Des coûts prohibitifs 
À chaque semaine son événement musical : qu’il s’agisse de la gloire nationale Sékouba Bambino ou d’une star continentale à l’image du Malien Salif Keïta, qui a animé deux concerts les 30 et 31 mars, ou encore les Congolais d’Extra Musica, qui ont choisi la capitale guinéenne pour débuter, en mai, leur tournée africaine 2018. Cependant, la prospérité de l’industrie du spectacle relève du miracle. Aucun producteur (une dizaine basés à Conakry) ne dispose du matériel nécessaire pour un concert grand public. Pas de podium, ni de système « sons et lumières ». Les coûts sont prohibitifs. Podium et sono, viennent de Dakar ou de Bamako, par route. Coût de l’opération location et transport : 150 millions de GNF. Hébergement des techniciens et billets d’avion : 75 millions. Location de l’esplanade du Palais du peuple (capacité : 50 000 spectateurs) : 10 millions. Sécurité : 75 millions. Per diem pour les 50 éléments de la Protection civile, les 100 agents de la Croix-Rouge et les deux compagnies républicaines de sécurité (CRS, soit 200 policiers) : 35 millions. Communication : 55 millions. Soit un budget total, hors cachet des artistes, de 400 millions de GNF (40 000 euros). Un concert sur l’esplanade est considéré comme un succès à partir de 10 000 spectateurs. Le billet d’entrée est de 30 000 GNF (3 euros), soit une recette de 300 millions de GNF. Pour combler le déficit, le producteur a recours au mécénat et au sponsoring. Deux opérateurs de télécommunications se partagent le parrainage des événements musicaux à Conakry : le français Orange et le sud-africain MTN. Le montant payé par le sponsor majeur reste confidentiel. Le plus souvent, l’artiste vedette du concert dispose d’un contrat image avec le mécène. Une vingtaine de partenaires figurent en bas des affiches, compagnies aériennes, hôtels de luxe, médias et autres prestataires qui participent au budget avec des « échanges marchandise ». L’industrie du spectacle prospère car les Guinéens aiment la musique et quand on l’a dans la peau, on danse et on dépense.