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Mali : un choix qui n’en est pas un

Par Aurélie Dupin - Publié en novembre 2018
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Comme dans de nombreux autres pays, les femmes doivent souvent se résigner à partager leur mari.
 
Y a-t-il des femmes heureuses en polygamie ? La réponse tombe sèche et ferme : « Non ! » Mais si elle est catégorique, Awa n’écarte pourtant pas cette option, elle qui à 36 ans est toujours célibataire. Tout comme Ibrahim, à peine 30 ans : pourtant issu d’une famille monogame, il a signé polygamie à la mairie lors de son mariage pour « maintenir la pression » sur sa femme au cas où celle-ci déciderait de ne plus être une épouse modèle. Au cas aussi où il envisagerait de convoler de nouveau en justes noces d’ici quelques années. Au Mali, la polygamie est un statut matrimonial légal au même titre que la monogamie et est laissée au choix des conjoints. Elle est plus répandue en milieu rural qu’en milieu urbain sans qu’il y ait pour autant un fossé entre les deux. Selon le travail de recherche d’Aminata Coulibaly Diamoutene, basé sur le recensement de 2009, 30 % des hommes sont dans un mariage polygame pour 42 % des femmes. Ces taux sont une moyenne, la pratique de la polygamie variant d’une région à l’autre : elle est plus élevée dans la région de Kayes et elle est la plus basse dans celle de Kidal.
Pour Fatim, 27 ans, les premières semaines furent les plus difficiles. Après six ans de mariage et quatre enfants, son mari, avec lequel le sujet n’avait jamais été abordé, lui annonça qu’il allait prendre une seconde femme. Elle n’y était pas préparée et la pilule fut dure à avaler. « Je n’étais pas d’accord mais j’ai fini par accepter. C’est mon mari qui m’a consolée, qui m’a montré qu’il m’aimait. » Il a fallu s’habituer à ne plus avoir son homme à la maison tous les jours et à s’en séparer lorsque c’est le tour de sa coépouse, qui vit dans un autre quartier. « Aujourd’hui, ça va et cette situation ne me pose plus de problème. » Alors, vous vous entendez bien avec l’autre femme de votre mari ? « Non, je ne pourrais quand même pas dire ça ! »
Rokia, elle, ne supporte plus le mariage dans lequel elle s’est engagée il y a douze ans alors qu’elle en avait à peine 20. « Mon mari est le fils d’un ami de mon père et je suis moi-même issue d’un mariage polygame. C’est mon père qui a décidé et je n’ai pas eu le choix. » Elle a donc rejoint, dans la grande cour familiale, une coépouse de 23 ans son aînée qui ne l’a bien sûr pas accueillie à bras ouverts. « Au début, elle criait sur moi dès que je faisais quelque chose. Mais je ne disais rien. Je la comprends. Pourquoi prendre Mali : un choix qui n’en est pas un Comme dans de nombreux autres pays, les femmes doivent souvent se résigner à partager leur mari. une deuxième femme lorsque tu n’as même pas les moyens de t’occuper correctement de la première ? » Avec le temps, les deux femmes ont appris à s’entendre. « Mais ce que je n’accepte pas c’est quand il me frappe devant elle. » Difficile aussi d’accepter la cohabitation avec les frères de son mari et leurs épouses. Autant d’humeurs à gérer pour cette jeune mère de quatre enfants qui songe à jeter l’éponge. Kady, en revanche, a choisi la polygamie et ne le regrette pas. La trentaine passée et après un échec matrimonial, la jeune femme fut présentée par une amie à un homme d’une quarantaine d’années qui ne tarda pas à lui proposer de s’unir. Il avait déjà deux femmes et ne lui cacha pas qu’il pensait en épouser une quatrième après elle, comme le Coran l’y autorisait. Ce ne fut pas un problème pour Kady. « Au contraire, cette situation me convient très bien. Lorsque mon mari est chez ses autres épouses, j’ai du temps pour faire ce que je veux et lorsqu’il est chez moi, je profite pleinement de lui. » Pour ce qui est des relations entre femmes, « il y en a peu car nous ne vivons pas sous le même toit. Je fais en sorte que tout se passe bien et je garde ma sérénité en toutes circonstances ».
Autant de situations que de chemins de vie. Mais la pression économique devrait progressivement faire diminuer ce choix matrimonial qui demeure onéreux pour le chef de famille. Originaire de Ménaka, Alhassane vit à Bamako depuis dix ans et lorsqu’on lui demande s’il envisage de prendre une seconde épouse, il s’esclaffe. « Une deuxième ? Pourquoi ? S’il était possible de n’avoir qu’une demi-femme, c’est l’option que j’aurais choisie ! »