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Ce que j’ai appris

Olivier Sultan

Par Fouzia Marouf - Publié en octobre 2020
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Passé maître dans l’art de promouvoir la création contemporaine africaine, le directeur de la galerie Art-Z, à Paris, signe un livre d’entretiens avec Malick Sidibé, Regards croisés (éd. Grandvaux).

Je suis très attaché au Zimbabwe. J’y ai vécu treize ans, j’y retourne une fois par an. Arrivé en 1987, j’y ai appris que les gens sont en constante quête d’identité. Je ressens depuis près de vingt ans un regard tourné vers l’extérieur sous l’acuité des artistes, même si les Zimbabwéens entretiennent un rapport à la tradition très profond. Culturellement, économiquement, l’Afrique a souvent été mise à l’écart des mouvements mondiaux, alors qu’elle a une revanche à prendre. Elle a de vrais atouts par rapport aux autres continents et se réinvente sans cesse.

Ce que j’aime, c’est le rapport au présent et à la présence. L’Afrique m’a appris l’attention accrue portée à autrui, que l’on ne retrouve pas en Occident : elle a éveillé ma conscience aux religions animistes, à l’attachement à la terre… Cet écho s’exprime dans la création, d’où émane une importance liée au matériau. Et le recours à la récupération entraîne dès lors une noblesse destinée à réactiver, recréer, préciser des choses. El Anatsui façonne un art particulièrement fort à partir d’une matière modeste, il renoue avec le passé glorieux propre aux grands empires, la fierté d’être africain et la prédominance de la culture. Comme l’art de la débrouille, cette incroyable capacité à raviver la création et à inventer constamment d’autres modes de vie.

Ce sont les artistes qui ont forgé ma sensibilité. J’ai appris le métier de galeriste à leur contact. Cela m’a permis de développer l’écoute d’une nouvelle culture. Quand on souhaite communiquer avec autrui, il faut s’imprégner de sa langue. J’ai appris à parler le shona avec ma femme zimbabwéenne, dont la mère était sudafricaine. Elle m’a beaucoup transmis, tout en me faisant me sentir chez moi au travers de son brassage culturel. *

Malick Sidibé était un voyant qui avait le don de voir qui vous étiez en quelques minutes. Il m’a appris la bienveillance. Il avait une curiosité qui dépassait les codes établis et témoignait un profond intérêt aux gens qui se présentaient dans son studio photographique à Bamako. Il prenait le temps de discuter une heure avec eux afin de traduire au mieux qui ils étaient. C’était sa façon de produire une image juste en un quart de seconde, en révélant son sujet dans son passé et son présent. J’ai beaucoup aimé notre dialogue incarné, Malick avait une vision circulaire de la société sans hiérarchie établie. Il aimait beaucoup ceux qui ne se soumettaient pas à la pose, comme les enfants, incapables de ne pas bouger, dans sa série C’est pas ma faute : il savait accueillir l’irruption de l’inattendu, les hasards de la vie.

J’ai vécu la libération de Nelson Mandela, la liesse, l’espoir immense qui ont submergé durant dix ans l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, marquant la fin des lois de l’apartheid. J’ai appris que le racisme est une construction historique qui n’est pas naturelle à l’homme. C’est la construction de la notion de race qui a donné naissance au racisme, telle une rupture institutionnelle, économique, politique.

L’art est une proposition constante, insufflant un sens à l’humanité car il apporte un regard nouveau sur le monde. Les récentes photographies de Nyaba Ouedraogo montrent que le masque fait partie de la vie des Burkinabés, ce n’est pas une pièce uniquement présente au musée du quai Branly [à Paris, ndlr] : en peignant des corps de différentes couleurs, ce photographe change le rapport au masque et à la tradition en Afrique, il crée une nouvelle perspective.