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Hommage

Rachid Taha live !

Par Loraine Adam - Publié en septembre 2018
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Rachid Taha vient de s'éteindre à son domicile parisien, à 59 ans, emporté par une crise cardiaque. De Carte de Séjour à sa carrière solo, l’artiste a toujours su faire fusionner, avec talent et générosité, tous les genres musicaux reggae/rock/raï/funk ou acid-jazz. Mais il restera avant tout et à jamais celui qui a démocratisé le Raï à partir des années 1980 en France. Dandy décadent, briscard au cœur d’or unanimement respecté par ses pairs, nomade, multiple, déraciné, désorienté, il était un libre penseur, partout chez lui. Curieux, généreux et engagé, il a chanté la culture de l’exil, l’immigration, la difficulté du vivre ensemble et les incompréhensions religieuses. Sentimental, féministe, entre humour et gravité, il a fait circuler la parole pour ouvrir les esprits. En Hommage à Rachid Taha, musicien d'une génération, retour sur cette interview accordée en novembre dernier à Afrique Magazine (AM 375/376). Il vient alors de rentrer du Mali où il a enregistré des morceaux pour "Je suis Africain", son dernier album à paraître. Un titre emblématique pour celui qui, né à Oran, a grandi en Alsace puis installé à Lyon et à Paris, avait choisi pour son dernier repos, l'Algérie, la terre de ses ancêtres. Une occasion de lire du Rachid live, de retrouver à nouveau son sens du flow !


› Jusqu’à à 12 ans, j’ai vécu en Algérie. Grandir est une souffrance chez les Arabes. 
Enfants, on vivait dehors, j’étais un voleur de poules – d’oeufs plutôt : c’était pour aller au cinéma. Toute ma culture musicale me vient du Bollywood et d’Elvis Presley. C’est mon oncle, le frère de ma mère, qui m’a fait découvrir tout ça, lui qui m’emmenait au cinéma et au foot. Mon père n’a jamais fait ça pour moi. En Afrique du Nord, le père n’est pas présent dans l’éducation des enfants. On vit à côté de nos parents. Le père est absent, il ne fait rien. Il est juste là pour vous mettre un coup de ceinturon sur les fesses si on ramène de mauvaises notes. Ensuite, on est venus en France pour notre éducation et pour manger de la viande trois fois par semaine… J’ai grandi et vite mûri.

 
Jamais je n’avais imaginé que je ferai de la musique. 
Tout a commencé par hasard, à cause d’une grève des bus à Lyon. Je suis tombé sur les deux frères Amini avec qui je travaillais à l’usine, ils cherchaient un batteur. C’est comme ça que je me suis lancé et que notre groupe Carte de Séjour est né. La douleur de l’exil était source de créativité, si j’étais resté là-bas, rien ne dit que j’aurais fait de la musique. En 1989, j’étais à Berlin le jour de la chute du Mur, qui a aussi marqué la fin de notre groupe, c’était notre dernier concert. Ce jour-là, un mur est tombé mais d’autres ont poussé. Aujourd’hui, je chante pour ne pas devenir fou. Ou pour aller jusqu’au bout. 
 
J’aime les mots qui m’ont aidé à trouver mon chemin.
Ils sont le regard des autres. J’aime aussi faire des collages où j’ajoute de la peinture. Je m’y suis mis suite à une grosse dépression amoureuse. À l’époque, j’hébergeais un ami peintre croate qui m’a encouragé et ça m’a sauvé. Une vraie thérapie. Je devrais bientôt faire un livre avec tous mes tableaux, sauf que ce livre, je l’ai perdu ! Il faut que je le retrouve sinon je vais devoir tout recommencer. 
 
Je n’ai pas encore eu le temps de me consacrer à mes envies de cinéma.
J’ai un projet de film qui va s’appeler Kebab Lula, une histoire sur Elvis. L’an dernier, j’ai perdu mon manager, Francis Kertekian, que j’aimais beaucoup, c’était aussi l’ancien manager de Fela. Francis m’avait encouragé à faire ce film et je lui ai promis… enfin, si j’arrive à vivre jusque-là car en ce moment, c’est une véritable hécatombe autour de moi. J’ai encore perdu un ami proche, mort à 53 ans. 
 
Je rentre du Mali où j’ai attrapé une crève d’enfer car j’avais mal réglé la climatisation à l’hôtel. 
Je me suis réveillé en grelottant, croyant que j’avais attrapé le palu ! On était en résidence à Bamako pour enregistrer un concert avec Aly Keita & The Magic Balafon, ça va bientôt sortir en disque. J’espère que je retrouverai bientôt ma voix pour chanter le chaâbi de Dahmane El Harrachi à l’IMA, le 2 décembre… Un grand maître dont j’ai repris « Ya Rayah » en 1997. 
 
La dernière chanson que j’ai écrite s’appelle « Je suis africain ».
Elle sera sur mon prochain album. Comme je dis souvent : « Je ne changerai pas de route à cause de mon nom, je ne changerai pas de nom à cause de ma route. » Pas mal, non ?