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Djibouti

Un fonds souverain pour accélérer

Par - Publié en décembre 2020
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Le président a décidé de créer cet instrument financier novateur. Objectifs : mutualiser les ressources du pays, optimiser la gestion des investissements et booster la réalisation des grands projets.

Décidément, Djibouti se distingue de ses voisins, et même du reste du monde. En théorie, qui dit fonds souverain, dit gestion des ressources nationales par des compétences exclusivement nationales. Ce n’est pas le cas au pays d’Ismaïl Omar Guelleh : IOG a nommé un étranger, le Sénégalais Mamadou Mbaye, à la tête de l’exécutif du tout nouveau Fonds souverain de Djibouti (FSD). Ce polytechnicien, ancien dirigeant du Fonsis au Sénégal, l’affirme : « C’est une première mondiale, car, par définition, un fonds souverain est dirigé par une compétence nationale, et Djibouti ne manque pas de cadres financiers de valeur. » Par ailleurs, sur les huit membres du conseil d’administration du FSD, trois sont des experts étrangers, recrutés par le biais de la banque d’affaires et de conseils Southbridge que codirigent le Rwandais Donald Kaberuka, ancien président de la Banque africaine de développement, et l’ex-Premier ministre béninois, Lionel Zinsou. Quelles sont les raisons qui ont incité le chef de l’État à fonder le FSD ?

Mohamed Sikieh Kayad, conseiller économique du président [voir son portrait ci-contre], est l’un de ceux qui l’ont convaincu de la nécessité d’une ingénierie financière innovante. « Deux arguments plaidaient pour cela, explique-t-il, le premier est que nous étions arrivés à la limite de nos possibilités de croissance par l’endettement. Il reste tant à faire, et si nous continuions dans cette voie, nous serions asphyxiés. Le deuxième argument est que les vingt dernières années ont été caractérisées par une croissance soutenue qui nous a permis de quintupler notre PIB, mais sans impact favorable sur nos indicateurs de développement humain, notamment les taux de chômage et de pauvreté. Un fonds souverain est un instrument d’ingénierie financière qui a vocation à investir, à identifier les priorités en la matière et à améliorer la gouvernance des entreprises économiques du secteur public. » La notion de fonds souverain renvoie le plus souvent à des pays disposant d’une économie de rente, notamment les États pétroliers. Ce qui n’est pas le cas de Djibouti. L’idée est donc de doter le FSD de ressources en centralisant les « joyaux de la couronne » : Great Horn Investment Holding (GHIH, propriétaire des ports, des zones franches, du terminal pétrolier, des compagnies maritime et aérienne…), Djibouti Télécom et Électricité de Djibouti (EDD).

« Pour les prochaines générations »

L’idée d’un fonds souverain trottait depuis longtemps dans la tête d’IOG, mais il n’est pas homme à décider tout seul. Si son conseiller était enthousiaste, ce n’était pas le cas de tous ses collaborateurs. Leur argument ? « Mettre nos actifs les plus performants dans le même sac est une démarche risquée. » Le président a tranché en faveur des enthousiastes, tout en rassurant les prudents. « Les actions des entreprises publiques transférées au Fonds seront entre de bonnes mains et serviront aujourd’hui, et pour les prochaines générations », dit-il en substance. C’est ainsi que le FSD est institué par la loi du 29 mars 2020.

Accélérateur de la création de richesses, le FSD a pour objectifs de faciliter la prise de décision, de pouvoir recourir aux talents nationaux et externes, de concentrer les moyens du pays pour faire aboutir les projets d’investissements stratégiques et de dynamiser la modernisation des entreprises publiques par de profondes réformes de gouvernance.

En vue de garantir un financement à long terme, le FSD dispose d’une mise de fonds initiale significative à laquelle s’ajoutent des flux récurrents. Le « socle patrimonial » initial est composé du transfert de 40 % des parts détenues par l’État au capital de GHIH, de la totalité des actifs de Djibouti Télécom, de l’EDD, de la société de gestion de la jetée du terminal pétrolier de Doraleh, ainsi que d’une dotation de 15 milliards de DJF (84 millions de dollars). Quant aux ressources récurrentes, elles proviendraient, selon Mamadou Mbaye, « des loyers des bases militaires étrangères [à hauteur de 20 %, ndlr], des plus-values foncières des cessions de biens publics, qui n’étaient pas valorisées auparavant, et d’autres dotations issues de prélèvements et de redevances perçues par l’État. » L’identification préalable des ressources est la preuve d’une mise en place solide. « Cela nous permet d’être opérationnels rapidement, se réjouit Mamadou Mbaye : à peine née, la holding FSD est devenue le plus important instrument d’investissement de l’État. À ce rythme l’objectif d’atteindre un montant d’actifs de 1,5 milliard de dollars en dix ans sera atteint en moins de cinq ans. »

Un impératif de transparence

Pour éviter les dérives, le FSD est tenu de réinvestir la totalité de son résultat net d’activité. L’impératif de bonne gouvernance et de transparence est source de légitimité au plan national, et de crédibilité à l’international. Sa structure comprend un conseil d’administration, une direction générale, un comité d’investissement et deux comités d’audit. Le président du conseil d’administration, Mohamed Sikieh Kayad, affirme sans fausse modestie : « Le patron du Fonds, c’est son directeur général, Mamadou Mbaye. Son mandat est celui d’un chef de l’exécutif. » Quant aux missions de contrôle, elles sont partagées entre un comité interne rattaché au conseil d’administration, et un comité d’audit externe placé sous le contrôle de Hassan Issa Sultan, inspecteur général de l’État.


Portrait

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ABOU HALOYTA

 

Mohamed Sikieh Kayad

​​​​​​​Conseiller économique du président de la République

Le militant du développement

C’est par cette formule qu’aime se présenter Mohamed Sikieh Kayad, 57 ans. Ce fort en thème, natif de la capitale, titulaire d’une maîtrise en économétrie, a occupé entre 1995 et 2000 le poste stratégique de directeur du Plan et de l’Économie à la primature et s’est retrouvé, à l’âge de 32 ans, en première ligne quand le Fonds monétaire international (FMI) voulait imposer son plan d’ajustement structurel à Djibouti. « Nous avons tenu bon, refusant la dévaluation du DJF et, surtout, la privatisation du port. Le FMI voulait même nous imposer un repreneur, une société française qui gérait une partie du port de Nantes. Je suis fier d’avoir convaincu le gouvernement de refuser, car trois mois plus tard, le repreneur proposé déclarait faillite. » Son volume de travail et sa gouaille l’ont rendu indispensable aux yeux de Barkat Gourad Hamadou, alors Premier ministre du président IOG. Barkat Gourad est contraint de s’en séparer. La maladie frappe Mohamed Sikieh et nécessite un long séjour aux États-Unis. L’économètre est affecté en 2001 à l’ambassade de Djibouti à Washington en qualité d’attaché économique. Ironie de l’histoire, le jeune pourfendeur des institutions de Bretton Woods passera près de sept ans dans les murs de la Banque mondiale, en tant qu’administrateur suppléant (entre 2010 et 2013) puis comme administrateur représentant 24 pays de l’Afrique francophone, entre novembre 2013 et décembre 2016. Il revient à Djibouti et le président IOG en fait son conseiller économique, en janvier 2017. Deux ans plus tard, il est désigné à la tête du Comité de cadrage macroéconomique. Un bonheur pour cet amoureux des chiffres : ce comité a vocation à suivre l’évolution des agrégats macroéconomiques. Sa passion pour le développement est également comblée puisqu’il est nommé à la tête du conseil d’administration de l’Office de développement de l’énergie géothermique, secteur stratégique pour Djibouti. En juillet 2020, à la suite de la création du FSD, « le militant du développement » est désigné comme président du conseil d’administration du Fonds