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ce que j’ai appris

WASIS DIOP

Par Sabine.CESSOU - Publié en août 2015
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MUSICIEN ET COMPOSITEUR SÉNÉGALAIS, 55 ANS.Il occupe une place à part sur la scène dakaroise. Fondateur du groupe mythique West African Cosmos dans les années 1970, il a ensuite tracé sa route en solo et signé la BOde plusieurs films. À son actif, Hyènes (1992) réalisé par son frère Djibril Diop Mambéty, mais aussi L’homme qui crie (2011) de Mahamat-Saleh Haroun ou encore Ramata (2011) de Léandre-Alain Baker.

Dans l’esprit de la charte du Mandé, je dis souvent durant mes concerts que « l’Afrique doit sauver le monde ». Aucune relation d’amitié ne nous autorise à sacri?  er nos enfants où que ce soit ! Voilà pourquoi je m’élève contre l’envoi de 2 000 soldats sénégalais en Arabie saoudite [dans le cadre de la coalition internationale visant à assurer la sécurité des lieux saints à Médine et à La Mecque, ndlr]. Je le fais parce que mon pays a été changé par la quête de l’argent, même si nous avons toujours cette notion de teranga (hospitalité) avec des personnes incroyablement investies dans des valeurs humaines.

Je suis parfois nostalgique, mais pour moi-même. Au fond de mon cœur, je me promène encore dans les rues du Dakar des années 1970, cette ville libre et rebelle qui a rythmé la vie de toute une génération d’artistes et d’intellectuels qui ont rendu le tablier ou ne sont plus de ce monde, comme mon frère cinéaste, Djibril Diop Mambéty. On ne revient pas en arrière, mais l’esprit de cette époque est toujours là.

Je suivais mon frère parce qu’il était un meneur, le chef d’un groupe, et parce que j’étais son « petit ». Nous avons découvert l’émotion du cinéma ensemble, fascinés par les histoires racontées par d’autres dans des pays lointains. Il en a fait son métier. Je me suis contenté de faire la bande-son. Si Djibril n’avait pas existé, je me serais peut-être défini autrement. Ce n’est pas non plus par hasard que l’on naît dans telle ou telle famille…

Nous avons fait son film Touki Bouki en 1973. J’ai ensuite pris le même bateau qui apparaît dans la dernière scène de ce conte cinématographique pour rejoindre la France et vivre à Paris. Ma fille Mati naît en 1982, elle grandit, remonte le fil de l’histoire et réalise Mille Soleils en 2014 [long-métrage qui raconte ce que sont devenus les acteurs principaux de Touki Bouki, ndlr]. Voilà, la boucle est bouclée. Le rôle qu’assumait mon frère se trouve synthétisé dans les rapports entre Djibril, Mati et moi.

Ma première religion, c’est l’amitié. Parler de sa propre croyance revient à s’opposer à l’autre. Si nous ne sommes pas capables d’être des amis, inutile d’aller frapper à la porte de quelque saint que ce soit.

Les flux migratoires font partie des mouvements de l’univers. Si les premiers hommes sortis d’Afrique avaient fait du surplace, l’humanité ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. C’est l’avenir du monde qui est en train de périr dans les océans.

Pour ceux de ma génération, la quête de l’ailleurs n’était pas économique. Il s’agissait d’un vrai rêve. Nous voulions aller voir ce qu’il se passait au-delà de la ligne d’horizon, en Amérique, au Japon, en Chine, et pas seulement en France. La télévision n’existait pas, pas plus que l’appel qu’exercent les séries sur les jeunes d’aujourd’hui.

Nous voulions partir parce que nous sommes aussi des gens de voyage. Le peuple du Sénégal est arrivé là après une longue marche dans la nuit des temps. Nous considérons que nous pouvons poursuivre la route et explorer la planète, sans nous perdre en chemin. Je suis en Europe depuis si longtemps ! Et je continue à articuler mes plus belles chansons en wolof, ma langue maternelle.

Quand j’écoute Faada Freddy, qui chante aussi bien en anglais qu’en wolof ou en français, je découvre la génération de l’universel dont rêvait Senghor, des jeunes qui s’approprient le monde et sont présents au « rendez-vous du donner et du recevoir ».